Italie - Politique culturelle

ENTRETIEN

L’adjoint à la culture de Rome prépare le Jubilé de 2025

Miguel Gotor, conseiller aux affaires culturelles de Rome :
« Corriger le déséquilibre de l’offre culturelle entre la ville historique et les quartiers périphériques »

Par Olivier Tosseri, correspondant en Italie · Le Journal des Arts

Le 12 avril 2024 - 1114 mots

ROME / ITALIE

À la faveur du PNNR, la politique culturelle italienne tend à s’intensifier, notamment à Rome qui se prépare au Jubilé 2025. Miguel Gotor explique la situation actuelle.

Miguel Gotor. © Roma Capitale
Miguel Gotor.
© Roma Capitale

Miguel Gotor est le conseiller aux affaires culturelles de la ville de Rome. Ce professeur d’histoire moderne au sein du département des études littéraires, philosophiques et d’histoire de l’art de l’université de Tor Vergata de Rome est un spécialiste de l’histoire de la vie religieuse au XVIe et XVIIe siècles. Il a collaboré avec les plus grands journaux italiens (La Repubblica, La Stampa, Il Sole 24 Ore) et a reçu en 2008 le prestigieux prix Viareggio pour son essai sur les écrits d’Aldo Moro au cours de sa prise d’otage par les Brigade rouges. Il revient aujourd’hui sur la politique culturelle italienne et plus particulièrement romaine.

Quel regard portez-vous sur la politique culturelle italienne des trente dernières années ?

De nombreux chercheurs ont remis en question le lien entre culture et politique dans l’histoire italienne des dernières décennies. Ils ont souligné, avec plus ou moins de nuances, une fragmentation substantielle de ce lien. Il ne fait aucun doute que la déconnexion entre la politique et la culture, à partir de la reconnaissance de la valeur de l’autonomie de l’une par rapport à l’autre, affaiblit notre société.

L’une des conséquences pratiques les plus évidentes est le manque général d’investissements et d’incitations en faveur de la production et de la diffusion culturelles qui a gravement pénalisé le patrimoine artistique, historique et littéraire italien. L’Italie consacre une très petite partie de son PIB au patrimoine culturel, un taux qui est inférieur à la moyenne européenne et à d’autres pays comme la France, l’Allemagne et l’Espagne. Les dépenses publiques consacrées à la culture en Italie représentent environ 0,3 % du PIB, alors que la moyenne européenne est de 0,4 %.
Par ailleurs, la gestion du patrimoine culturel repose sur une logique d’urgence et non sur une planification stratégique. C’est pourquoi les fonds du Plan national de relance et de résilience (PNRR) – la version italienne du Plan de relance européen – jouent un rôle crucial, car ils allouent une part substantielle des investissements à la valorisation des biens culturels.

Qu’en est-il pour Rome ?

Nous élargissons et diversifions l’offre culturelle qui, pendant des années, s’est concentrée presque exclusivement dans le périmètre du centre historique et dans les quartiers qui se sont développés immédiatement en dehors des murs d’Aurélien délimitant le cœur de la ville. Je suis convaincu que tous les citoyens, et en particulier les jeunes générations, doivent se voir offrir davantage d’espaces consacrés à la culture, à l’étude, à la créativité et à la socialisation. Ils doivent être largement répartis dans toute la ville, corrigeant ainsi le fort déséquilibre de l’offre culturelle entre la ville historique et les quartiers les plus périphériques, et créer une relation stable et vertueuse avec les activités qui opèrent dans ces quartiers à divers titres. Le renforcement du réseau déjà riche de bibliothèques et la création d’un système de salles d’études au sein des musées, par exemple, vont dans ce sens.

L’avenir de la politique culturelle romaine repose sur le projet « Roma Caput Mundi ». Pouvez-vous le détailler ?

« Roma Caput Mundi » s’inscrit dans le cadre du PNRR et bénéficie d’une enveloppe de 500 millions d’euros pour la restauration et la valorisation du patrimoine monumental de la ville. Ce plan, qui vise à élargir et diversifier l’offre touristique également en vue du Jubilé de 2025, est divisé en 335 interventions à réaliser sous l’égide de différents organismes (ministère du Tourisme, ministère de la Culture, parc archéologique du Colisée, parc archéologique de la Voie Appienne, Diocèse de Rome, Région Latium et Rome Capitale). Il s’agit d’une stratégie partagée, mais qui place la capitale dans une position centrale, compte tenu du rôle de commissaire joué par le maire Roberto Gualtieri. Les activités de réaménagement – de la part de différentes entités, tant du point de vue conceptuel que financier – seront réparties sur l’ensemble de la ville, incluant aussi bien les zones centrales que périphériques.
Parmi les interventions majeures, il y a la restauration de sections importantes du mur d’Aurélien, l’achèvement de la Cité des arts dans l’ancien abattoir Testaccio, la restauration des structures souterraines et aériennes des thermes de Trajan et des thermes de Titus au sein du parc Colle Oppio, la valorisation des structures et le nouvel agencement du Musée de la civilisation romaine, les interventions sur les forums impériaux (Auguste, Trajan, Forum de la paix) et la valorisation de la tour médiévale des Conti.

Quelles relations doivent entretenir les secteurs public et privé s’agissant du patrimoine culturel ?

Elles doivent être vertueuses et nous devons les renforcer. La législation italienne sur le patrimoine culturel prévoit des règles spécifiques qui permettent aux particuliers de réaliser des actes de mécénat permettant de financer la restauration et la valorisation des monuments et des œuvres d’art. De nombreuses interventions récentes sur le patrimoine culturel de notre ville sont le résultat de cette synergie : je pense notamment à l’espace Sacré de Largo Argentina, rendu au public après un long travail de réaménagement financé par le joaillier Bulgari ou encore le Mausolée d’Auguste, dont la restauration, qui est en cours d’achèvement, a été financée par la Fondation TIM. La restauration de la fontaine de la Déesse de Rome sur la place du Campidoglio est soutenue, elle, par le groupe Laura Biagiotti en collaboration avec la Banque Intesa San Paolo.

Que pensez-vous de la proposition récurrente de créer un « Louvre italien » à Rome ?

L’expérience du Musée Napoléon, créé à Paris au début du XIXe siècle, diffère considérablement de la genèse des musées romains, dont certains remontent à plusieurs siècles avant l’inauguration du Louvre. Les Musées Capitolins – le plus ancien musée public du monde – ouvrent en 1471, lorsque le pape Sixte IV rend au peuple romain quelques anciennes statues de bronze conservées dans ses palais du Latran. À Rome, nous avons ensuite les Musées du Vatican, qui, bien qu’ils appartiennent au Saint-Siège, relèvent géographiquement de notre ville.
Partant de ces prémices, je crois que l’idée de reproduire des modèles étrangers dans notre ville qui a sa propre spécificité qui la rend à la fois unique et universelle n’est pas réalisable. Il convient plutôt de se concentrer sur l’enrichissement et la valorisation de ce qui existe déjà, en respectant ainsi la riche histoire muséale de Rome et en la promouvant de manière cohérente, afin de valoriser notre identité culturelle, et de contribuer également à une meilleure offre touristique. Cela permet de gérer plus facilement les flux de visiteurs qui sont ainsi mieux répartis. Un système de musées diffus sur tout le territoire peut offrir, à mon avis, une expérience plus authentique à ceux qui viennent visiter Rome.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°630 du 29 mars 2024, avec le titre suivant : Miguel Gotor, conseiller aux affaires culturelles de Rome : « Corriger le déséquilibre de l’offre culturelle entre la ville historique et les quartiers périphériques »

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