Livre

Michel Charzat : J’ai retrouvé le fils caché de Derain

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 23 septembre 2015 - 1244 mots

L’ancien sénateur et député PS, ancien maire du 20e arrondissement de Paris, vient de publier une importante biographie : André Derain, le titan foudroyé. Il confirme, après un premier ouvrage paru en 2010, son intérêt pour les peintres et la peinture, tout en éclairant d’un jour nouveau la vie de Derain.

L’œil Alors que l’on vous connaît pour votre carrière politique, votre éditeur vous présente comme « un authentique connaisseur de la peinture de l’entre-deux-guerres ». D’où vous viennent cette passion et cette expertise ?
Michel Charzat À l’âge de 18 ans, j’achetais déjà les collections Hachette sur les peintres. Une fois ma carrière politique lancée, je travaillais tellement que j’ai eu besoin d’un violon d’Ingres, de moments de décompression, je me suis donc naturellement intéressé à la peinture. Je lisais un livre sur l’art dès que j’avais un moment dans la journée, je visitais les expositions et les musées dès que j’allais en province… Mes goûts m’ont immédiatement porté sur la peinture figurative de l’entre-deux-guerres : l’Art déco – qui n’était pas encore à la mode dans les années 1980 –, le retour au néoréalisme après 1916… prenant plaisir à redécouvrir des peintres parfois totalement inconnus, comme Luc Albert Moreau, Boussingault ou Charles Dufresne – dont j’ai animé la Société des amis quand j’étais sénateur. Alors, lorsque je me suis « suicidé » politiquement [Michel Charzat a quitté son poste de député en 2007 et celui de maire en 2008, ndlr], j’ai enfin pu m’investir dans ma passion. En 2008, j’ai écrit mon premier livre, qui a paru chez Hazan en 2010 : La Jeune Peinture française, 1910-1940. Ensuite, je me suis plongé pendant trois années dans Derain. Aujourd’hui, je regarde du côté de La Fresnaye.

Passionné de peinture, vous n’êtes toutefois pas historien de l’art…
L’inconvénient d’être autodidacte, c’est qu’il faut énormément de travail pour rattraper les connaissances que l’on n’a pas. On a moins de méthode aussi. L’avantage, c’est que l’on apporte un regard neuf qui nous permet de procéder à des assemblages d’idées. Derain aussi était un autodidacte, il n’a pas eu son bac – contrairement à ce qu’ont dit certains historiens –, il n’avait pas une culture classique approfondie, mais il était tellement curieux qu’il a fait son miel de toutes ses lectures, procédant souvent par comparaison, par analogie, un peu comme les scolastiques.
Le portrait que vous dessinez

De Derain rompt avec l’image habituelle de l’artiste ouvrier en bleu de travail. Vous attendiez-vous à cela ?
Je connaissais bien entendu un peu le travail de Derain. J’avais notamment visité l’exposition « Derain, le peintre du “trouble moderne” » en 1994 au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, qui m’avait littéralement scotché. Je savais donc qu’il n’était pas simplement le personnage à la clope au bec et au bleu de travail. Néanmoins, en ayant accès aux documents, et notamment à ses notes sur la peinture, j’ai découvert des choses absolument étonnantes sur Derain et sur ses connaissances intellectuelles : sur les alchimistes, la pensée des présocratiques, etc. Derain a eu une ouverture d’esprit qui a nourri son art et sa vie. Pour le comprendre, il faut passer par la culture : par ses lectures, par la poésie, par sa réflexion sur la métaphysique médiévale…

Derain a-t-il la notoriété qu’il mérite aujourd’hui ?
Bien sûr que non. Beaucoup de jeunes gens, pourtant cultivés, ne connaissent plus Derain. Pour les gens de ma génération [Michel Charzat est né en 1942], jusque dans les années 1960-1970, il était pourtant un nom, accolé au fauvisme, au cubisme et à « l’art magique ». Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Sans vouloir en faire un Picasso, je pense qu’il a sa place dans l’histoire de l’art, aux côtés de Léger, Braque… Certes, Picasso était plus génial. Mais Derain était aussi créatif et tout aussi destructeur que Picasso.

Finalement, Derain n’a-t-il pas été son meilleur ennemi ?
Il a refusé le système médiatico-commercial que Picasso a excellé à utiliser. Il avait un caractère impossible, il était dépressif et bipolaire, avec des moments aimables et d’autres où il ne parlait pas. Il y a chez lui une dimension du petit bourgeois – il est né dans un milieu modeste – devenu grand bourgeois, mais qui détestait les puissants. Derain était un personnage associal, tout en étant gentil garçon.

Ne paie-t-il pas aussi son « retour à l’ordre » ?
Le « retour à l’ordre » est une très mauvaise expression ; elle est connotée sociale et politique alors que c’est un retour au classicisme. Derain était partisan d’une remise en cause de tout ce qui était de l’ordre de la connaissance, il était précurseur du « doute moderne » comme le dit Breton, mais pas en matière de peinture, pour laquelle il défendait le métier. C’est pour cela qu’il s’est perdu dans la recherche du nombre d’or et des secrets ésotériques. Derain pensait qu’il fallait défendre l’intégrité de la peinture de chevalet, ce qui était devenu impossible.

Pourquoi refuse-t-il, après la guerre, la direction de l’École des beaux-arts de Paris ?
Derain a toujours refusé d’être à la tête d’une école – comme les honneurs d’ailleurs. S’il pouvait recevoir des jeunes artistes, comme Fautrier, il refusait en revanche de les parrainer, à l’inverse de Léger. Et puis, il a très vite compris que cela ne serait pas opportun d’accepter après ce voyage en Allemagne en 1941 qui lui a fait beaucoup de mal – encore aujourd’hui. C’est à cause de ce voyage qu’il s’isole après guerre. Edmonde Charles-Roux, qui a été proche de lui, m’a révélé que ce voyage l’avait psychologiquement fracassé. Il avait compris qu’il avait été manipulé, lui qui avait passé sept ans en uniforme et quatre ans à se battre contre les Allemands, qu’il n’aimait pas. Il en a ressenti une énorme honte.

Mais comment a-t-il pu accepter de faire ce voyage en Allemagne ?
Sa maison avait été occupée et saccagée par les Allemands. Derain, qui était alors très connu en Allemagne, a protesté. La police militaire allemande a donc fait pression sur lui en le menaçant, puisqu’il fréquentait des peintres juifs de Montparnasse, de l’envoyer dans un camp s’il ne retirait pas sa plainte. Il a cédé et c’est ensuite qu’il a accepté de faire ce voyage, tout en sachant qu’il faisait une énorme bêtise. Je ne tiens pas à minimiser cet épisode de la vie de Derain, mais j’espère que mon livre le remettra en perspective dans une période complexe.

Comment avez-vous retrouvé la trace de Nicole Algan, son dernier amour caché ?
Quelque part dans ses souvenirs, Pierre Lévy dit que Derain avait une petite amie à la fin de sa vie, en produisant une lettre dans lequel il révèle l’existence de « N. A. ». Mais comment retrouver cette « N. A. » ? Coup de pot, la fille de Pierre Lévy me remet un jour les originaux des lettres de Derain à Lévy, et je découvre que dans une lettre, qui n’avait pas été expurgée, apparaît le nom de Nicole Algan. J’ai ainsi retrouvé le fils de Nicole Algan, qui m’a confirmé que sa mère avait eu un grand amour, Derain, et qu’elle s’était suicidée après. Chez lui, j’ai eu accès à plus d’une centaine de lettres que Derain avait envoyées à sa mère, qui éclairent d’un jour nouveau la dernière période de la vie du peintre.

Économiste et universitaire, diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris en droit public, docteur en sociologie, Michel Charzat a adhéré au PS en 1968. Depuis son éloignement de la vie politique en 2008, il consacre son temps à sa passion : la peinture. André Derain, le titan foudroyé est son deuxième ouvrage chez Hazan

Légende photo

Couverture de l'ouvrage de Michel Charzat, André Derain, le titan foudroyé, Hazan, 384 p., 39 €.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°683 du 1 octobre 2015, avec le titre suivant : Michel Charzat : J’ai retrouvé le fils caché de Derain

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