chorégraphe

Meg Stuart et les fragilités de l’être

L'ŒIL

Le 1 juillet 2002 - 523 mots

Depuis la fin des années 80, la chorégraphe américaine Meg Stuart développe une recherche hors des sentiers battus de l’univers de la danse. L’organisation et compagnie Damaged Goods, qu’elle dirige à Bruxelles, se présente comme une plate-forme d’échange où interviennent tour à tour musiciens, plasticiens, acteurs et danseurs. Centré sur une approche fortement expérimentale de l’improvisation, le travail de Meg Stuart a d’emblée trouvé sa légitimité dans une mise en péril de tous les paramètres de la danse : forme, technique, expression. En 1991, sa première œuvre, Disfigure Study, présentée au Festival Klapstuck de Leuven (Belgique), explorait les limites du langage. La chorégraphe expose un corps souffrant : muscles atrophiés, mouvements gelés, erreurs et accidents renvoyant à l’irréductible fragilité de l’être. « La relation entre les états physiques et émotionnels, et les actions involontaires résultant de situations extrêmes, sont souvent à la source du processus de création », affirme-t-elle. Chez Meg Stuart, le dévoilement des ressorts intimes de la vie corporelle conduit au constat d’une distorsion : entre l’esprit et la matière, entre la topographie privée du corps et l’espace relationnel du contact extérieur.
C’est en 1994 que la chorégraphe fait son entrée dans le domaine des arts plastiques, avec une « installation de danse » réalisée au Musée d’Art contemporain de Gand, qui cherche à instaurer un nouveau rapport entre performance et public. La série de chorégraphies Insert Skin, commencée immédiatement après, inaugure un dialogue direct avec des artistes visuels tels que Lawrence Malstaf, Ann Halmilton, Gary Hill. Il s’agit de faire fonctionner l’interstice entre les disciplines, de relever le défi d’une « connexion directe et physique entre les deux médias », intimement brassés et mixés au niveau même du processus d’improvisation. En 1999, elle s’associe avec des scénographes, Stefan Pucher, puis Anna Viebrock, et ouvre aux acteurs l’espace de son atelier. Plusieurs projets, tels que Crash Landing qui se tient au Théâtre de la Ville cette année-là ou Highway 101, impliquent depuis lors une collaboration à longue échéance, à travers un principe d’itinérance dont l’enjeu est de multiplier les paramètres de l’improvisation. Ainsi, Highway 101, de passage au Centre Pompidou à l’automne 2000, avait pour principe de disloquer une chorégraphie dans ce lieu, en utilisant les caméras de surveillance afin de confondre toute frontière entre espace privé et espace public. L’insertion d’images préenregistrées achevait cette diffraction de l’espace et du temps de la performance. Dans l’œuvre de Meg Stuart, la danse et la vidéo fonctionnent en miroir, en tant que procédés de mise en présence de l’individu au monde.Cette année, Meg Stuart a présenté au Kunsten Festival des Arts de Bruxelles une nouvelle série d’études en collaboration avec la compagnie théâtrale Forced Entertainment, dirigée par Tim Etchell. Là, le texte parlé et le mouvement se heurtent dans une fragmentation hachée, qui parle de l’émiettement du soi dans la société médiatisée. Dans Soft Wear (titre au double sens de logiciel et usage doux), l’un des solos créés à cette occasion, Meg Stuart applique à la danse le principe du morphing, conduisant la chair aux limites de l’identité. Dans le cadre du prochain Festival d’Automne à Paris, elle reprendra sa chorégraphie Disfigure Study.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°538 du 1 juillet 2002, avec le titre suivant : Meg Stuart et les fragilités de l’être

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