Politique

Chronique

Méfions-nous du RIC !

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 13 mars 2019 - 603 mots

PARIS

Politique.À ceux qui prônent le « référendum d’initiative citoyenne » (RIC) – thème retenu dans le grand débat national voulu par le président Macron – comme panacée pour résoudre la crise de la démocratie représentative et rétablir la souveraineté du peuple, conseillons-leur d’observer le bourbier dans lequel s’enfonce la Grande-Bretagne depuis le 23 juin 2016.

Ce jour-là, nos voisins devaient répondre à une question d’apparence limpide et simple : rester ou quitter l’Union européenne. 51,9 % des électeurs ont choisi la seconde option. Leur majorité était aussi claire que la question posée, le gouvernement n’avait plus qu’à s’y conformer et à appliquer rapidement leur choix. Élémentaire, mon cher Watson ! Eh bien, plus de deux années se sont écoulées, les administrations de Londres et Bruxelles ont beau avoir été mobilisées pour rédiger notes techniques et rapports, le feuilleton Brexit apparaît sans fin. Peut-être saurons-nous, au moment où paraîtra cette chronique, si la Chambre des communes accepte le nouvel accord de sortie, ou bien si elle préfère un report de l’échéance fixée au 29 mars, ou encore si elle opte pour une sortie sans accord. Personne n’avait imaginé en 2016 un tel fiasco et certainement pas les hommes politiques tels David Cameron, Nigel Farage ou Boris Johnson à l’origine de ce référendum et qui ont tous, depuis, démissionné de leurs responsabilités respectives. Ce mois de mars ressemble à la « drôle de guerre », époque où personne ne savait comment les choses allaient survenir, écrit le critique d’art du Guardian, Jonathan Jones, en chroniquant l’exposition « Dois-je rester ou dois-je partir ? » présentée à la galerie Patrick Heide Contemporary Art de Londres. « Le Brexit nous a fait prendre conscience que nous vivons l’Histoire. Aucun doute, mars 2019 figurera dans les livres d’histoire aux côtés du déclenchement de la guerre civile en 1642 et de celui de la Première Guerre mondiale en juillet 1914 », juge-t-il sévèrement.

Ce que nous savons, en revanche, car nous l’avons appris depuis, c’est que la campagne électorale pré-référendum a été l’une des plus honteuses pour une démocratie. Des hommes politiques en faveur du Brexit ont menti sciemment et cyniquement et l’ont reconnu ouvertement après leur victoire, les tabloïds britanniques et réseaux sociaux s’étant chargés de colporter massivement leurs fake news. À l’inverse, rappelons que les Britanniques n’ont pris connaissance qu’en janvier dernier des conséquences concrètes, financières, réglementaires, du Brexit sur la vie artistique et sa gestion, à travers un document publié par l’Arts Council England.

Nous avons également appris que cette majorité de 51,9 %, qui semblait évidente et claire, devait être analysée plus à l’aune des conséquences de politiques nationales que de celles de l’Europe, l’étude du scrutin révélant un pays divisé avec de fortes disparités géographiques et sociologiques. Poser et enfermer l’avenir de l’adhésion britannique à l’Europe dans une question binaire, c’était donc jouer avec le feu.

Et c’est bien le risque de se brûler qui nous guette avec le RIC. Les questions culturelles, artistiques, esthétiques sont bien trop complexes pour s’inscrire dans une logique binaire. Les réponses à donner ne peuvent se satisfaire d’un simpliste et brutal « oui » ou « non », mais méritent nuances, prises en compte d’un contexte, de conditions d’exécution… Imagine-t-on résoudre les polémiques sur la présence de la création contemporaine dans des lieux historiques en demandant aux citoyens par voie d’un RIC : « Souhaitez-vous que le château de Versailles accueille encore des expositions d’art contemporain ? ». Ou bien éteindre la controverse sur la restitution d’œuvres d’art pillées durant la colonisation à l’Afrique par un RIC qui dispenserait les parlementaires de se prononcer sur une modification de la législation concernant l’inaliénabilité des collections publiques ? Le Brexit peut, malheureusement, servir de leçon..

 

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°519 du 15 mars 2019, avec le titre suivant : Méfions-nous du RIC !

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