L'actualité vue par

Marcel Fleiss

Directeur de la Galerie 1900-2000, à Paris

Par Philippe Régnier · Le Journal des Arts

Le 13 juin 2003 - 1250 mots

Après la Galerie des Quatre Mouvements ouverte en 1972, Marcel Fleiss dirige depuis 1981 à Paris la Galerie 1900-2000, spécialisée dans le surréalisme. Il a aussi été l’expert pour les tableaux modernes et les sculptures lors de la vente André Breton. Il fête ce moi-ci les trente ans de sa première participation à la Foire de Bâle. Il commente l’actualité.

Vous fêtez cette année les trente ans de votre première participation à la Foire de Bâle. Quel jugement portez-vous sur cette manifestation ?
En 1973, nous avions exposé un ensemble d’artistes hyperréalistes. Nous étions les premiers à l’époque en Europe à présenter ces Américains. Quelques années plus tard, j’ai été éjecté de la Foire de Bâle, sans doute parce que nous avions trop bien travaillé deux années de suite. Nous avions à chaque fois vendu pratiquement l’ensemble de notre stand. Après cette éviction, j’ai d’ailleurs rédigé un manifeste très sévère contre Yvon Lambert et Anne Lahumière [à l’époque membres du comité de sélection], avec lesquels je me suis réconcilié depuis. J’ai réintégré la foire environ vingt ans après, entre 1990 et 2000, alors que le marché allait moins bien et que la foire attirait moins de candidats. Depuis sept ou huit ans sans exception, notre stand se trouve en bas, parmi les meilleures galeries du monde. La Foire de Bâle est sans aucun doute la foire numéro 1. Nous avons aussi exposé à la FIAC, dans des salons en Allemagne, aux Etats-Unis, et même aux Pays-Bas, en Espagne et en Italie. Nous avons donc une grande expérience des foires, mais celle de Bâle est la meilleure. Nous essayons de faire progresser la FIAC, qui, longtemps, a été la foire numéro 2. Maintenant, elle est en concurrence avec d’autres salons, mais je pense que, malgré les histoires et les critiques liées aux événements récents, le trentième anniversaire de la FIAC sera d’un bon niveau. Je fais aujourd’hui partie du Cofiac, et même du bureau. Quelques évolutions ont lieu au sein du Cofiac, et son président parle de laisser sa place après la prochaine FIAC. Nous voulons rajeunir la foire, mais il ne faut pas éliminer les galeries dites modernes, parce qu’un plateau uniquement composé de galeries d’art contemporain n’attirerait pas autant de monde.

Pour les foires, comme dans votre galerie, vous êtes un adepte des accrochages serrés. Pourquoi ce parti pris ?
Depuis que mon fils m’aide pour l’accrochage, ce dernier est un peu moins serré. L’accrochage était serré parce que j’étais un habitué de l’appartement d’André Breton, chez lequel il était très serré. Cela m’avait beaucoup impressionné. Notre spécialité, le surréalisme, s’y prête très bien. D’ailleurs, plusieurs galeries nous ont imité, et je vois beaucoup d’accrochages dits “XIXe siècle”, notamment chez Applicat et, dernièrement, lors de Art Saint-Germain-des-Prés, à la galerie Raymond Dreyfus. Cette année, à Bâle, nous allons tenter un accrochage un peu moins serré. Cette présentation permet de proposer des œuvres pour tous les goûts et pour toutes les bourses. Ce principe avait été si critiqué que, lors de la FIAC 1986, nous n’avons présenté qu’une seule œuvre par jour pour contrecarrer cette critique.

L’actualité, c’est aussi le décès de Pierre Restany...
Je le connaissais depuis près de trente ans. Il était venu à ma première galerie pour une exposition “Daniel Spoerri”, un artiste qu’il aimait beaucoup. Dans les dernières années [en 1986], il m’a écrit une préface pour une exposition de Jorge Eduardo, un hyperréaliste brésilien que j’ai présenté. Je le voyais à Milan ou à Paris. J’ai organisé des expositions d’Arman, de Spoerri et de bien d’autres, mais je ne suis pas un spécialiste des Nouveaux Réalistes. Je suis très triste, c’était un homme avec un grand cœur, mais aussi un grand découvreur de talent, un peu comme André Breton.

Vous évoquiez l’appartement d’André Breton. Lors de la vente Breton, dont vous avez été l’un des experts, avez-vous été étonné par les prix atteints par certaines œuvres, notamment les 240 000 euros de la Religieuse italienne fumant la cigarette de Clovis Trouille ?
J’avais prévu ces prix pour cinq ou six cas, comme Clovis Trouille. J’ai organisé la seule exposition privée de cet artiste et j’ai pu constater qu’il suscitait un intérêt extraordinaire. Ses œuvres sont très rares sur le marché, et la famille ne veut jamais vendre de tableaux. Le seul qui ait réussi à en acheter, c’est Daniel Filipacchi, qui en possède beaucoup dans sa collection. Quelques tableaux ont été vendus par Clovis Trouille lui-même et sont apparus dans des ventes, ce qui m’a permis d’organiser l’exposition de 1993. Pour le Laloy qui a aussi fait une grosse enchère, il était en couverture du Surréalisme et la Peinture [l’ouvrage d’André Breton], ce qui a attiré beaucoup de monde. Au cours des quinze jours d’exposition, nous avons tout de suite compris quelles pièces allaient battre des records, puisque nous avons eu le temps de parler aux collectionneurs. J’ai établi les estimations selon la vraie valeur des tableaux que j’ai l’habitude de vendre et d’exposer depuis trente ans. J’ai pratiquement exposé tous les artistes de la vente. Mais il y a eu quelques excès. Il est évident que ce ne sont pas des marchands qui ont acheté pour revendre, parce qu’ils n’ont aucune chance de rentrer dans leurs frais dans les dix ou vingt ans qui viennent. Cette vente a été pour moi une expérience personnelle extraordinaire, six mois de travail intense facilité par notre grande bibliothèque “surréaliste”. Depuis la disparition d’André-François Petit, je suis sans doute un des seuls marchands spécialisés dans le surréalisme à Paris ; il était donc logique que je sois l’expert de cette vente .

Jean Clair vient de lancer un pavé dans la mare en publiant Du Surréalisme considéré dans ses rapports au totalitarisme et aux tables tournantes. L’avez-vous lu ?
Non, je ne l’ai pas lu et cela ne m’intéresse pas du tout. Jean Clair est un provocateur et c’est aux surréalistes de répondre. Malheureusement, les deux plus virulents, Jean Schuster et José Pierre, ne sont plus là. Mais je suis sûr que, parmi les surréalistes, des gens vont lui répondre. De mon côté, je ne me sens pas atteint.

Vous présentez beaucoup de photographies dans votre galerie. Comment avez-vous vu évoluer ce marché en un peu plus de trente ans ?
Ma première exposition, en 1972, était consacrée à Man Ray et s’intitulait “Quarante rayographies”. Je n’ai vendu aucune photographie pendant l’exposition. Le marché a heureusement évolué et nous avons plongé dedans, surtout grâce à mon fils David. C’est lui qui s’occupe de notre stand à Paris Photo, et aussi des photographies à la galerie comme dans les foires.

Votre galerie se situe rive gauche, rue Bonaparte. Que pensez-vous d’une opération comme Art Saint-Germain-des-Prés, qui a eu lieu en mai ?
J’ai participé à Art Saint-Germain-des-Prés, mais je n’ai pas ouvert ma galerie. J’ai payé la cotisation, mais, malheureusement, rue Bonaparte, les gens ne viennent jamais. Ils vont rue de Seine ou rue Jacques-Callot, ils viennent encore un peu au début de la rue des Beaux-Arts. Nous sommes un peu en dehors du circuit.

Une exposition vous a-t-elle particulièrement marqué dernièrement ?
Je n’ai pas eu le temps de voir “Trajectoires du rêve” au Pavillon des arts, et j’ai essayé d’aller trois fois voir “Magritte” au Jeu de paume mais il y avait trop d’attente. J’ai pourtant aidé Daniel Abadie à trouver quelques Magritte, mais je n’ai pas pu aller au vernissage. La dernière exposition à m’avoir beaucoup plu, c’est, au Centre Pompidou, “La révolution surréaliste”, tout simplement.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°173 du 13 juin 2003, avec le titre suivant : Marcel Fleiss

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