L’Internet au service des œuvres spoliées pendant la guerre

La Direction des Musées de France veut ainsi mettre fin au soupçon

Par Jean-Marie Schmitt · Le Journal des Arts

Le 1 juillet 1996 - 637 mots

Face aux accusations dénonçant le silence de la Direction des Musées de France (DMF) sur les œuvres spoliées – les "MNR" –, la DMF veut démontrer sa transparence. Françoise Cachin vient d’annoncer la publication d’un catalogue illustré ainsi que la mise sur l’Internet de ces œuvres, récupérées en Allemagne à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Enfin, la DMF organisera un colloque à l’automne sur ce sujet controversé.

 

PARIS - Depuis quelques années, la gestion des "MNR" ("Musées nationaux Récupération", la cote d’inventaire utilisée pour repérer ces œuvres dans les collections pu­bli­ques) suscitait un malaise entre les Musées de France et les familles spoliées par les nazis, en particulier celles de la communauté juive.

La publication l’an dernier par Hector Feliciano du livre Le musée disparu a relancé le débat sur la place publique. Dans un chapitre, intitulé "Les MNR et le Purgatoire", Feliciano, tout en rendant hommage à l’action passée de la DMF dans les opérations de restitution, lui reprochait, pour la période plus récente, une diligence médiocre et quelque opacité. Il s’interrogeait sur plusieurs transactions, mettait en doute "la volonté réelle" de ré­soudre de "gênantes questions" et soulignait les difficultés d’accès aux œuvres : "En octobre 1995, la DMF reconnaissait encore que l’inventaire provisoire des MNR était toujours en cours, et de ce fait indisponible. La date prévue pour son achèvement n’est même pas précisée". Comme toujours, le défaut d’information alimentait le soupçon.

Lors d’un débat organisé le 30 mai au Centre de documentation juive contemporaine, Françoise Cachin a longuement repris l’historique des récupérations et des restitutions. Elle a précisé le statut des œuvres non encore restituées, faute d’identification et/ou de demande des éventuels ayants droit (lire ci-contre). Elle a en particulier souligné que les Musées de France n’étaient que dépositaires des œuvres et qu’aucun délai de prescription n’avait été fixé pour l’exercice des demandes de restitution (situation confirmée par le ministère de la Justice en 1992). Compte tenu de la situation juridique complexe des MNR, Fran­çoise Cachin a insisté sur le fait que "les musées n’ont jamais voulu jouer ce rôle (de propriétaire) et continuent à se considérer comme des détenteurs précaires (...)". De la sorte, les œuvres restent "à la disposition d’éventuels ayants droit, sans qu’aucune prescription ne puisse intervenir".

Difficiles à exposer
Pour répondre aux critiques sur la difficulté d’accès à l’inventaire des MNR, Françoise Cachin a annoncé la publication d’un catalogue illustré dans un délai maximum de deux ans, ainsi que la prochaine diffusion des œuvres sur l’Internet, via le serveur du ministère de la Culture. Les premières fiches de­vraient être accessibles dès cet été. À l’automne, la DMF organisera également un colloque sur les MNR.

En revanche, le directeur des Musées de France a justifié la difficulté d’exposer l’ensemble des œuvres en permanence en raison de leur qualité inégale – nombre d’œuvres sont "certes intéressantes, mais pas forcément majeures" – et de l’impossibilité d’établir le "pedigree" de toutes les œuvres par des recherches historiques. Celles-ci, "qui ne se font généralement qu’à l’occasion d’expositions temporaires", sont rendues plus difficiles encore parce que "certaines informations ne sont pas accessibles aux conservateurs, comme les archives des galeries d’art".

Ce débat aura permis à la DMF de vérifier les vertus de la transparence, que les musées n’ont pas toujours cultivée. Il serait souhaitable que, dans la foulée du colloque annoncé sur les MNR, la DMF prenne des initiatives similaires pour les œuvres volées ou illicitement exportées. Elles seraient d’autant plus opportunes au moment où se développe le débat sur la convention Unidroit et alors que la France n’en finit pas d’achever le dépôt des instruments de ratification de la convention Unesco (1970). Après Jacques Toubon en 1994, Philippe Douste-Blazy l’an dernier, le président de la République, lui-même, a assuré au début de cette année que les opérations étaient en phase finale…

 

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°27 du 1 juillet 1996, avec le titre suivant : L’Internet au service des œuvres spoliées pendant la guerre

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