Libérations de fin d’année

Par Jean-Marie Schmitt · Le Journal des Arts

Le 17 décembre 1999 - 688 mots

Tandis que la réforme de la loi de 1992 sur l’exportation des œuvres d’art tarde à se dessiner, le ministère de la Culture, selon nos informations, a décidé d’autoriser la sortie du territoire de plusieurs trésors nationaux. Si l’État n’a pas vocation à tous les acheter, la hausse significative des crédits d’acquisition, via le Fonds du Patrimoine, semble acquise. C’est ce qui ressort d’une réponse du Budget à une question parlementaire.

PARIS - L’année 1999 s’annonçait difficile : le refus de délivrer un certificat de libre circulation, valable trois ans, arrivait à échéance pour des œuvres dont le montant total était estimé à près de 660 millions (lire le JdA n° 73, 18 décembre 1998). Parmi celles auxquelles un certificat avait été refusé en 1996, plusieurs ont déjà été acquises, comme le Portrait de Mademoiselle Juliette de Villeneuve  de David ou le coffret à bijoux de Marie-Antoinette. Mais les propositions de réforme n’ayant pas encore abouti, le ministère de la Culture admet qu’il lui faut autoriser la sortie de plusieurs œuvres majeures (voir encadré page 4). Après Berthe Morisot et sa fille par Renoir en février, un certificat a été délivré le 1er décembre pour La duchesse de Montejasi et ses filles Elena et Camilla de Degas, et le sera bientôt pour Le jardinier Vallier de Cézanne. Dans sa réponse à une question sénatoriale (J. O. 11 novembre), le ministère du Budget souligne de son côté que l’acquisition de trésors nationaux est “devenu de fait le seul moyen permettant de garantir leur maintien définitif sur le territoire” depuis la jurisprudence Walter, laquelle expose l’État à de lourdes indemnités en cas de classement d’office. Le Budget détaille les hausses de crédits intervenues depuis 1996 et se veut rassurant en anticipant la décrue prévue pour l’an 2000 du nombre de certificats arrivant à échéance. L’augmentation des moyens se manifeste en particulier dans la dotation du Fonds du Patrimoine, passée de 34 millions en 1995 à 105 millions en 1999, à laquelle le ministère du Budget agrège les crédits d’acquisition (257 millions), les “acquisitions patrimoniales financées par d’autres voies” (100 millions), et enfin la valeur des dations acceptées (123 millions en moyenne depuis dix ans), pour évaluer l’effort actuel du ministère de la Culture à près de 500 millions par an.

Même si la rue de Valois n’apprécie que modérément l’assimilation des dations à des crédits d’acquisition, l’effort budgétaire n’en est pas moins significatif. Pourquoi alors s’inquiéter de la mauvaise passe de 1999 ? Dans sa réponse, sans doute mûrement réfléchie – la question date du 27 mai –, Bercy donne son interprétation en forme de leçon : “L’État n’a (...) pas vocation à acquérir la totalité des trésors nationaux, pas plus qu’il ne doit en être l’unique financeur. En effet, si elles concourent à la protection du patrimoine mobilier de la France, les acquisitions d’œuvres d’art doivent servir avant tout à enrichir les collections nationales dans un souci de diversification plus que d’accumulation. Ainsi, il peut parfois être plus opportun de rapatrier une œuvre de l’étranger plutôt que d’en acquérir une dans le seul but d’empêcher sa sortie du territoire national [le rédacteur pensait peut-être à la commode de Riesener acquise récemment à Londres pour Versailles, avec le concours d’un mécène]. Par ailleurs, le délai de trois ans à l’issue duquel tombe l’interdiction d’exporter un trésor national peut être mis à profit par l’État pour encourager la mobilisation d’autres financeurs.”

Ces réflexions sont de bon sens patrimonial et budgétaire. Les informations chiffrées répondent sans doute partiellement à l’attente du sénateur Michel Moreigne qui, dans sa question, demandait “l’augmentation durable” des crédits d’acquisition du ministère de la Culture. Peut-on déduire de cette réponse que, pour Bercy, la protection du patrimoine mobilier justifie un engagement annuel durable de l’État de 500 millions ? Si la réponse est positive, les difficultés de 1999 auront au moins permis une petite révolution : percevoir les acquisitions comme des investissements de la Nation et non des dépenses de fonctionnement du ministère de la Culture. Resterait alors à traduire ces intentions en règles budgétaires et à appuyer les réformes proposées pour une plus grande implication des collectionneurs.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°95 du 17 décembre 1999, avec le titre suivant : Libérations de fin d’année

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