HISTOIRE DE L’ART CONTEMPORAIN

L’exposition exposée à la photographie

Par Christophe Domino · Le Journal des Arts

Le 18 octobre 2018 - 787 mots

Simple document ou genre photographique à part entière, la photographie des œuvres en situation d’accrochage a aujourd’hui trouvé sa place.

La diffusion de la « photographie de vue d’exposition », ainsi dénommée par l’historien de l’art Remi Parcollet, directeur de l’ouvrage de Photogénie de l’exposition, est un marqueur du régime de monstration des œuvres contemporaines. Cette photographie s’est développée depuis les années 1970-1980 en parallèle à l’évolution des pratiques des artistes, à la diversification des formes d’œuvres et à l’attention souvent portée par ces dernières à leur contexte de présentation. Elle s’est d’autant plus imposée que l’exposition devenait une forme en elle-même, voire un médium, et un médium dominant. Elle donne consistance aux pratiques éphémères ou temporaires telles que l’exposition. Pour toutes ces raisons, elle intéresse au premier chef les spécialistes de l’art, artistes, commissaires, conservateurs, scénographes et historiens. Le livre réunit ces acteurs au travers de six textes et entretiens stimulants. Ils décrivent des rôles et des utilisations de la documentation photographique, et spécifiquement des photographies d’œuvres présentées dans leur contexte d’accrochage. « Cet objet documentaire qu’est la vue d’exposition a-t-il généré une pratique spécifique ? A-t-il produit des usages particuliers ? A-t-il ou va-t-il participer à une forme de récit de l’histoire des expositions ? Et plus largement, d’une histoire culturelle de l’art ? », s’interroge l’historien de la photographie Michel Poivert en préface.

« Potentiel fictionnel »

Pour Remi Parcollet en tout cas, nous assistons bel et bien à l’affirmation « [d’]un genre autonome caractérisé par une photogénie particulière » (p. 13). Ceux qui produisent les œuvres, ceux qui les conservent, ceux qui en font l’histoire, et ceux, de plus en plus nombreux, qui s’intéressent à l’exposition comme forme, au premier rang desquels les critiques, tous paraissent confirmer l’hypothèse.

Ainsi Jean-Marc Poinsot, dans un entretien très personnel, rapporte comment la photo d’exposition s’est imposée dans sa pratique de critique et d’historien, bien avant qu’il publie son livre de référence, Quand l’œuvre a lieu (1999, coéd. Mamco/Les Presses du réel). Car il a choisi très tôt de produire sa propre documentation, pour son travail de chercheur et d’enseignant. Il s’est trouvé pris dans ce moment du début des années 1980 où les nouvelles institutions consacrées à l’art (les Frac [Fonds régionaux d’art contemporains] et les centres d’art) avaient besoin d’inventer leur mode de travail et leur méthode d’archivage. Le CAPC-Musée d’art contemporain de Bordeaux demande ainsi dès le milieu des années 1970 au jeune universitaire de réfléchir à son besoin d’archive : il incitera l’institution à la production de photos d’œuvres en situation, constituant une base d’informations nouvelle dans son aspect méthodique.

Déjà, l’exposition « Quand les attitudes deviennent forme », organisée en 1969 à la Kunsthalle de Berne, avait marqué le très jeune critique, comme la méthode de travail de son commissaire, Harald Szeemann, qu’il fréquente alors et pour qui le travail de documentation est central. Cette exposition de référence, par sa nature singulière comme par les œuvres qu’elle réunit, a fait l’objet d’une reconstitution pendant le Biennale de Venise de 2013, largement fondée sur la documentation photographique. Son architecte retrace la démarche qui a conduit à ce remake très discutable. Xavier Douroux (1956-2017) intervient, lui, à partir de son activité de commissaire et directeur du Consortium, le centre d’art qu’il a cofondé à Dijon en 1977. Il analyse de manière sensible son propre rapport à la documentation, qui produit selon lui des spectres d’œuvres et porte un potentiel fictionnel, bien au-delà de leur dimension descriptive. Une dimension spectrale qui traverse aussi le travail de Pierre Leguillon, lors de séances de projection de diapositives qui sont autant de parcours personnels dans les œuvres photographiées. Quant à Louise Lawler, elle a fait de la photographie d’œuvres en situation d’exposition la matière même de son œuvre, comme le rappelle le critique et commissaire François Aubart. Ainsi, assurément, la photographie d’exposition rentre dans la vie même des œuvres, ce que mesure de sa position chacun des contributeurs.

Mais, au-delà de l’usage qu’en font les professionnels de l’art, usage ici bien cerné, le volume n’envisage guère les pratiques du public général, ni ce que la photographie d’exposition signale de la relation aux œuvres de l’amateur. Presse, catalogues, sites d’institutions comme d’artistes et autres archives accessibles…, le contact avec les œuvres par le biais de la photographie s’est imposé à tous, et nourrit nos musées imaginaires, pour reprendre le mot de Malraux, avec des images qui se rapprochent de l’expérience subjective. Elle revivifie ainsi l’aura des œuvres en les situant dans l’espace du lieu de leur vision, la salle d’exposition, que celle-ci tienne du white cube ou du site exceptionnel. C’est donc aussi de la réception contemporaine commune des œuvres, des conditions contemporaines de la relation proprement esthétique, dont la « photographie d’exposition » tout à la fois témoigne et alimente.

Photogénie de l’exposition,
sous la direction de Remi Parcollet, textes et entretiens de François Aubart, Xavier Douroux, Pierre Leguillon, Florence Ostende, Ippolito Pestellini Laparelli, Jean-Marc Poinsot, préface de Michel Poivert, Manuella Éditions, 144 pages, 15 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°509 du 19 octobre 2018, avec le titre suivant : L’exposition exposée à la photographie

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