Disparition

Les vies d’Andrée Putman (1925-2013)

La grande dame du design Andrée Putman, styliste et architecte d’intérieur, connue pour ses lignes épurées, s’est éteinte à l’âge de 87 ans

Par Colin Lemoine · Le Journal des Arts

Le 29 janvier 2013 - 705 mots

La styliste et architecte d’intérieur Andrée Putman est morte samedi 19 janvier, à l’âge de 87 ans. La créatrice multipliait les paradoxes, égale dans l’excentricité comme dans la rigueur.

PARIS - Andrée Putman, la « grande dame » du design international s’est éteinte dans ce VIe arrondissement de Paris dont elle était devenue une figure incontournable, tout à la fois silhouette furtive et icône immuable. Elle imposa avec force son style reconnaissable entre tous, ainsi que sa voix rauque et sa coiffure asymétrique. Soucieuse d’affirmer sa personnalité, Andrée Putman ressemblait à peu de monde, si ce n’est peut-être à Sylvia Von Harden, peinte par Otto Dix en 1926. Cigarettes, damiers et maniérisme : la journaliste allemande put-elle inspirer la styliste française, lui suggérer son élégance affectée, sa sophistication frondeuse ?

À l’école de l’exigence
Arrière-petite-nièce du philosophe Hippolyte Taine, petite-fille du directeur de la Bourse de Lyon et président de la Chambre des députés, fille de l’écrivain Joseph Aynard, la jeune Andrée hérita d’un lourd pedigree et de hautes exigences. Ainsi cette mère extravagante et musicienne virtuose qui infligea à sa fille des heures de piano. À onze ans, Andrée composait, à dix-neuf, elle brillait et recevait de son professeur Francis Poulenc le premier prix d’harmonie du conservatoire de Paris.

La médiocrité fut bannie chez les Aynard, intellectuels bourgeois qui, pour réclamer l’excellence, ne toléraient pas les fausses notes. Il fallut de l’obstination, et du courage, certainement, à Andrée pour délaisser le boulevard de la musique pour des chemins de traverse. Sa grand-mère, Madeleine Saint-René Taillandier, créatrice du prix Femina, engagea cette femme de vingt ans en tant que journaliste dans la revue homonyme avant qu’elle n’intégrât, en 1952, la rubrique décoration du magazine Elle. En 1958, André Putman devint styliste pour le groupe Prisunic et associa l’exigence au quotidien. Cela s’appelait le style. 1958, ce fut également la date du mariage avec Jacques Putman, éditeur d’art et critique. Un mariage décisif pour une séparation singulière, vingt ans plus tard : blessée, Andrée ne quitta pas l’appartement de la rue des Grands-Augustins, dont elle transforma une moitié en un loft majestueux, tandis que l’ancien époux et sa nouvelle compagne occupaient la seconde moitié. Des enfants allant d’un appartement l’autre et vouvoyant leurs parents, avec une simplicité ostentatoire. Tout était dit. Intraitable et délurée, douée d’un œil certain mais d’une main timide, Andrée Putman rêva d’une beauté accessible et d’un beau pour tous. En 1978, à 53 ans, elle créa la société Écart afin de rééditer des meubles et des objets des années 1930, tels la chaise d’école de Robert Mallet-Stevens, écoulée à plus de trente mille exemplaires, ou encore le délicieux transat d’Eileen Gray.

Un damier pour signature
Avec l’épure pour ligne de conduite, comme pour endiguer ses propres débordements, « la Putman » inventa sans cesse, toujours borderline, entre architecture et arts mineurs. « Architecte d’intérieur » : l’expression était lancée. La noceuse imagina un décor pour Le Palace dont elle fut l’une des égéries et fréquenta à New York le Studio 54 avec Andy Warhol et Louise Bourgeois. En 1984, sa rénovation de l’Hôtel Morgans, toujours à New York, lui permit, comme Klein ou Rothko, d’être à jamais identifiable pour un motif : le damier, celui que dessinait le carrelage noir et blanc de la salle de bain, aussi sobre qu’irrévérencieux, clinique que baroque. Avec des poses de dandy atrabilaire, Andrée Putman toucha à tout, avec frivolité et audace. Ici, la boutique de son ami Azzedine Alaïa (1985) et l’hôtel Le Lac au Japon (1989), là le siège d’Arte (1992) ou le Sheraton de l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle (1994).

Ici le bureau ministériel de Jack Lang, où des demi-lunes austères côtoient des ors resplendissants (1982), là l’intérieur du Concorde, avec sa modernité toute cistercienne (1994). Sur terre ou dans les airs, le globe entier voulut la griffe Putman qui, depuis 1997, travaillait sous son propre nom, aussi bien pour le CAPC Musée d’art contemporain de Bordeaux (1990) que pour la maison de Bernard-Henri Lévy à Tanger (2005). Voie lactée est l’une de ses dernières créations, en 2008. Il s’agit d’un piano demi-queue dont le couvercle est orné d’une constellation et le pupitre habillé en damier. La musique, à nouveau, comme pour fermer la boucle.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°384 du 1 février 2013, avec le titre suivant : Les vies d’Andrée Putman (1925-2013)

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