Fondation

Issy-les-Moulineaux

Les mystères de la Fondation Hamon

Art, argent et élus, tels sont les ingrédients d’une sulfureuse affaire de fondation avortée

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 7 juin 2011 - 800 mots

PARIS

Il n’y a pas que la Fondation Pinault à n’avoir pas vu le jour dans les Hauts-de-Seine. Lancé en 2001, un projet mené par le conseil général et le collectionneur Jean Hamon a lui aussi sombré. Une affaire trouble qui vaut aujourd’hui aux protagonistes du dossier, dont les anciens ministres Charles Pasqua et André Santini, d’être renvoyés devant le tribunal correctionnel.

ISSY-LES-MOULINEAUX - À lire l’ordonnance de renvoi rédigée début avril par la juge d’instruction Nathalie Andréassian, et publiée par le site French Leaks, la méfiance traditionnelle des services de Bercy à l’égard des fondations devient subitement limpide. Car, dans cette affaire dite de la Fondation Hamon, qui devrait faire à l’automne un retour fracassant devant le tribunal de grande instance de Versailles, le projet culturel initial semble s’être rapidement évanoui au profit d’intérêts particuliers. Ou comment une structure juridique censée appuyer la création d’une fondation d’art contemporain se serait transformée en pompe à facturation au profit du donateur.

Retour en arrière
En 2001, le truculent promoteur immobilier Jean Hamon caresse des ambitions de reconnaissance nationale. L’homme est alors connu de la jet-set de l’art contemporain qu’il invite régulièrement dans son château du Moncel, à Jouy-en-Josas (dans les Yvelines, il sera un temps loué à la Fondation Cartier), pour assister à quelques fameux happenings. Après un premier projet avorté dans les années 1990, Jean Hamon signe le 30 janvier 2001 une convention avec le Département des Hauts-de-Seine et la Ville d’Issy-les-Moulineaux pour la création d’une fondation, portant son nom et destinée à accueillir 192 des 800 œuvres de sa collection d’art contemporain, donation estimée en 2006 à 7,58 millions d’euros. Pour l’accueillir, les collectivités s’engagent à construire un édifice de 4 000 m² à la pointe de l’île Saint-Germain, sur la commune d’Issy-les-Moulineaux. En attendant, les œuvres sont stockées dans la propriété de Jean Hamon, à Bullion (Yvelines), conformément à un contrat de sous-location signé en parallèle. Une structure de droit public est par ailleurs créée pour accueillir la donation, permettre la construction du bâtiment mais aussi animer et faire fonctionner le futur centre d’art : le Syndicat mixte de l’île Saint-Germain (SMISG).

Dès 2003, le projet se heurte aux protestations des écologistes. Et pour cause : le site sur lequel doit être construit l’édifice, confié à l’architecte Jean-Michel Wilmotte, est le dernier poumon vert de la ville d’Issy-les-Moulineaux. En juillet 2004, le tribunal administratif annule le permis de construire. La zone sera par la suite déclarée inconstructible. Qu’à cela ne tienne. Une convention – que d’aucuns jugeraient léonine –, tient les deux parties. Le SMISG doit donc continuer à payer des loyers pour des locaux situés dans la propriété du donateur jusqu’en 2011. Dès 2001, en préalable à la signature, un mémoire juridique avait pourtant alerté les élus sur les conditions déséquilibrées de l’accord, prévoyant notamment la location de 72 % du château de Bullion !

Fausses factures
Alors que le projet part à vau-l’eau, le comptable de l’une des sociétés de Jean Hamon jette un pavé dans la mare. En 2003, il se rend à la police pour dénoncer l’existence de « fausses factures non causées vers une entité juridique associant Département des Hauts-de-Seine et Ville d’Issy-les-Moulineaux ». Soit le SMISG. Au fil d’une très longue enquête, qui s’est aussi appuyée sur un rapport de la chambre régionale des comptes d’Île-de-France (2007), un festival de factures troubles est bien mis à jour : loyers de locaux à Bullion impropres à l’utilisation, charges injustifiées, dépenses incongrues, comme l’achat d’une batterie de téléphones alors que le SMISG n’emploie aucun personnel… Si certaines actions pédagogiques à destination des scolaires – pourtant jamais formalisées par aucun accord – semblent bien avoir eu lieu, la facturation de l’organisation d’une trentaine d’expositions dans des écoles des Hauts-de-Seine ne correspond à aucune réalité. Selon un témoin entendu par la juge, le SMISG, dépourvu de personnel, n’aurait été qu’une « coquille juridique qui paie un certain nombre de factures ».

Problème, ces factures, au profit de deux sociétés de Jean Hamon, ont toutes été signées par Charles Pasqua, alors président du SMISG, puis André Santini, son vice-président et maire d’Issy-les-Moulineaux. D’où le renvoi, malgré leurs dénégations (ils ont évoqué l’existence d’une machine à signer), des deux barons des Hauts-de-Seine devant le tribunal correctionnel pour détournement de fonds publics et recel de faux, mais aussi prise illégale d’intérêt dans le cas d’André Santini (il aurait favorisé l’emploi de l’un de ses proches). Neuf autres personnes, dont Jean Hamon et l’architecte Jean-Michel Wilmotte, comparaîtront également dans cette affaire, dont l’instruction a tenu de la véritable guérilla judiciaire, dans un département sensible politiquement pour avoir un temps été présidé par Nicolas Sarkozy. Le coût de l’affaire Hamon pour les contribuables des Hauts-de-Seine n’est pourtant pas négligeable : le rapport de la chambre régionale des comptes l’a estimé à plus de 7 millions d’euros.

Légende photo

Charles Pasqua (1987) - © photo Bertrand GRONDIN - Licence CC BY-SA 3.0

André Santini à la réunion publique de lancement de la campagne de l'UMP pour les élections régionales de 2010 à Paris - © photo Marie-Lan Nguyen - Licence CC BY 3.0

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°349 du 10 juin 2011, avec le titre suivant : Les mystères de la Fondation Hamon

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