Les galeries face à de nouveaux enjeux

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 17 février 2006 - 1434 mots

Faible fréquentation de leur espace, difficulté de monter des stocks, tentation d’ouvrir des succursales à l’étranger, fiscalité : les marchands doivent s’adapter à l’évolution du marché de l’art.

Les galeries souffrent, comme les antiquaires, d’une désertion des visiteurs. Selon l’enquête du CPGA (lire p. 16), 93 personnes en moyenne poussent chaque semaine les portes de leurs espaces. Une donnée à moduler en fonction de l’emplacement géographique des galeries. Cette faiblesse avérée dans la fréquentation conduit à s’interroger sur la pertinence d’un lieu, d’autant plus que la plupart des amateurs privilégient la circulation sur les foires. Ainsi, lors de la dernière Foire internationale d’art contemporain (FIAC), à Paris, 10 000 amateurs auraient grimpé le temps d’un week-end sur la structure de Jan Kopp présentée par Grégoire Maisonneuve ! Un chiffre qui fait rêver le jeune galeriste isolé dans le 19e arrondissement parisien.

Nécessité d’une vitrine
Malgré le couplet sur la fin du white cube, celui-ci a encore de beaux jours devant lui. D’après l’enquête, 40 % des galeries d’art contemporain d’avant-garde disposent de locaux de plus de 150 m2. L’exposition en galerie reste pour les artistes un événement et un exercice d’autant plus essentiels que la plupart répugnent à produire des œuvres pour les foires. « Il est plus facile d’obtenir d’un artiste américain une pièce spécifique pour la FIAC, et d’un Français, une pièce pour l’Armory Show », tempère un marchand. Les cas se suivent et ne se ressemblent pas, car 99 % des œuvres présentées par Suzanne Tarasiève (Paris) sur les foires sont spécialement conçues pour l’occasion. La manifestation commerciale n’est toutefois pas le meilleur lieu d’expression. « J’ai besoin d’un espace, car je ne présente pas un art qui s’épanouit forcément sur les foires, où la perception peut être réductrice », observe  Michel Rein (Paris).
L’existence d’un lieu centralisateur s’impose même pour des galeries modernes comme 1900-2000 (Paris), laquelle effectue pourtant 80 % de son chiffre d’affaires sur les foires. « Le lieu permet de travailler autrement qu’avec les ventes publiques. Nous achetons surtout à des héritiers d’artistes, à des collectionneurs comme à d’anciens marchands, qui viennent de temps en temps nous rendre visite à la galerie », indique Marcel Fleiss. À l’appui, Olivier Malingue (Paris) constate qu’une exposition comme Roberto Matta a pu attirer dans la galerie des vendeurs d’œuvres de… Wifredo Lam. L’absence de vitrine transformerait le métier de galeriste en celui d’agent et freinerait ses entrées sur les foires internationales. Les expériences de traverse butent souvent sur une incompréhension administrative. La galerie Incognito (Paris), fonctionnant 24 heures sur 24 sur le principe d’une carte de membre, s’est ainsi vue refuser l’aide à la première exposition par la DAP (délégation aux Arts plastiques). La commission avait jugé qu’un espace de 8 m2 ne pouvait accueillir de manière professionnelle une exposition.

Partenariats, licences…
Il est étonnant que les galeries ne cherchent pas davantage à faire coïncider leurs vernissages de manière à rallier les visiteurs. Celles-ci arguent souvent de l’agenda chargé des artistes pour justifier de la faible synchronisation des calendriers. « En septembre, nous organisons tous nos vernissages de rentrée en même temps. Mais, de toute façon, on vend de moins en moins lors du vernissage. Soit l’artiste est connu et on le vend avant, soit il ne l’est pas et les ventes s’étirent sur plusieurs semaines », déclare la galeriste Nathalie Obadia.
Si espace induit visibilité, cette dernière se joue aujourd’hui à l’échelle planétaire. « Ce métier fait éprouver à de minuscules entreprises une concurrence mondiale, ce qui n’est pas le cas dans d’autres domaines d’activité. Un petit coiffeur parisien n’est pas en concurrence avec un coiffeur new-yorkais, remarque Michel Rein. Je me demande si le modèle développé autour de l’œil, de la vision d’un artiste, est viable, ou s’il faut aller vers un modèle américain, ou encore s’organiser en réseau avec des partenaires étrangers. » Le galeriste a trouvé une réponse personnelle en s’associant l’an dernier à une consœur munichoise, Traversée. La question du partenariat taraude de nombreux marchands. « J’explore l’idée de licences à l’étranger, en montant des expositions qui parcourraient un réseau de galeries amies, franchisées ou partenaires », annonce Hervé Loevenbruck (Paris). Certains comme Emmanuel Perrotin ou Yvon Lambert sont allés jusqu’à ouvrir des antennes aux États-Unis. « La galerie à New York s’autofinance aujourd’hui, affirme Yvon Lambert. Celle-ci permet un travail avec des collectionneurs et des musées américains qu’on ne voit quasiment plus à Paris, ce qui a aussi une répercussion sur le chiffre d’affaires parisien. »

Le choix des artistes spéculatifs
Les interrogations n’épargnent pas les galeries d’art moderne. Voilà sept ans, Luc Bellier (Paris) avait participé à une vente de gré à gré d’un tableau de Munch à une collection privée new-yorkaise pour 10 millions de dollars. De telles transactions restent épisodiques. Face à la raréfaction, les galeries modernes s’orientent insensiblement vers l’art contemporain, ainsi de Hopkins-Custot (Paris) avec Marc Quinn. « Dans le moderne, on n’a pas beaucoup de marges et, avec les coûts que nous avons, il est de plus en plus difficile de gagner sa vie. Il faut faire deux à trois grosses affaires par an pour être tranquille, indique Luc Bellier. Cela nous pousse à aller vers des artistes spéculatifs. Le métier devient difficile aussi, car le marché est truffé de gens qui font du commerce sans en supporter les frais, des investisseurs déguisés qui boursicotent sans patente. »

Une TVA récupérable
Autre problème, celui du stock, de plus en plus congru. « Avant la crise de 1990, nous achetions systématiquement ; depuis, la majorité des œuvres sont en dépôt. On jouit du coup d’une trésorerie nous permettant par exemple de soutenir la cote d’un artiste en vente publique », se félicite Jean Frémon, codirecteur de la Galerie Lelong (Paris). Certains artistes répugnent à laisser leurs galeries constituer des stocks, par crainte que celles-ci ne contrôlent leur marché. Car, à l’inverse d’autres commerces, le stock peut prendre de la valeur ! Il offre aussi la possibilité d’orchestrer des revivals d’artistes méconnus. « Nous nous sommes rendu compte que beaucoup d’œuvres du stock n’avaient pas été montrées depuis longtemps, confirme Véronique Jaeger, de la galerie Jeanne-Bucher (Paris). Les Masson que nous avions présentés une fois sur l’ARCO à Madrid n’étaient pas sortis depuis 1940. Nous remettons aussi en lumière des artistes oubliés comme Louis Le Brocquy. »
La question du stock induit implicitement celle du droit de suite. La législation européenne, applicable en France dès cette année, impose aux galeries une redevance sur les reventes. Selon cette directive, seules bénéficient d’une exonération les œuvres achetées par la galerie à l’artiste et revendues moins de 10 000 euros dans un délai de moins de trois ans. Visiblement, la loi incite plus au dépôt qu’à l’achat. Elle pousse aussi à acquérir des œuvres auprès d’artistes ne faisant pas partie de l’Union européenne et non soumis au droit de suite. Le CGA plaide pour que la loi ne s’applique pas de manière rétroactive aux stocks déjà constitués. Il appelle également à un moratoire jusqu’en 2010 ou 2012 dans le cadre des reventes d’œuvres d’artistes décédés. La prochaine enquête du CPGA, prévue dans deux ans, devrait à ce propos mesurer les effets collatéraux du droit de suite.
La TVA à l’importation de 5,5 % représente l’autre plaie de la profession. Quand une galerie achète
un tableau à l’étranger pour 400 000 euros et l’importe en France, elle doit payer une TVA à l’importation de l’ordre de 22 000 euros. Cette dîme vient se greffer à d’autres prélèvements. Du coup, lors de la revente de ce tableau par exemple à 530 000 euros, la galerie doit s’acquitter de 53 294 euros en taxes diverses (TVA, droit de suite, cotisation à la Maison des artistes…), soit 41 % de sa marge. Contrairement à d’autres syndicats, le CPGA ne réclame pas la suppression – improbable – de cette taxe. « Nous demandons une TVA à l’importation récupérable. Dans le cas précité, on pourrait garder les 22 000 euros en trésorerie, ce qui amortirait le choc de la taxe », précise Patrick Bongers (directeur de la Galerie Louis Carré & Cie et président du CPGA). Outre les questions du droit de suite et de la TVA à l’importation, divers sujets sont à l’étude. Marie-Claire Marsan, déléguée générale du CPGA, propose ainsi d’étendre aux professions libérales les avantages fiscaux offerts aux entreprises en cas d’achats d’œuvres d’art. Mais le chantier le plus épineux, et encore insoluble, reste celui de l’exportation des artistes français. Un dossier dans lequel tous les acteurs du monde de l’art ont un rôle à jouer.

Lire aussi le Parti pris de Marc Spiegler en page 32.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°231 du 17 février 2006, avec le titre suivant : Les galeries face à de nouveaux enjeux

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