Les artistes rejoignent la Fronde

Mobilisation contre le projet de loi Debré sur l’immigration

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 1 mars 1997 - 460 mots

Avec en toile de fond une progression électorale du Front national, un projet de loi sur l’immigration a provoqué une mobilisation d’artistes d’une ampleur inconnue en France depuis longtemps. Le combat contre l’extrémisme occupe le débat culturel. Au-delà des prises de position fermes de certains responsables politiques, la gravité des problèmes exige des réponses concrètes sur le terrain.

PARIS - "Nous, citoyens français et artistes, faisons part de notre désaccord profond avec le projet Debré de loi sur l’immigration et le séjour des étrangers…" Ainsi commence la pétition signée par plus de quatre cents artistes, aussi différents qu’Henri Cartier-Bresson et Sophie Calle, Jean Bazaine et Daniel Buren, Gilles Aillaud et Jérôme Basserode, Jean Nouvel et Paul Chemetov, et bien d’autres. Photographes, plasticiens, architectes ont rejoint l’appel à la désobéissance civile lancé le mardi 11 février par une soixantaine de cinéastes. Ils considèrent comme une grave atteinte à la liberté individuelle le projet de loi qui oblige l’hébergeant à déclarer le départ de son invité étranger à la mairie, un gage donné au Front national.

En dépit des déclarations de Philippe Douste-Blazy, ce texte, qui avait reçu des avis défavorables de la Commission nationale consultative des droits de l’Hom­me et du Conseil d’État, est apparu aux yeux des protestataires comme un gage donné à un Front national dont le pouvoir grandissant menace le pluralisme : censure de livres dans des bibliothèques municipales d’Oran­ge, combat du maire Front national (FN) Jean-Marie Le Chevallier contre le directeur du Théâtre national de la danse et de l’image. Château­vallon est devenu le symbole de l’attaque d’une mairie d’extrême droite, celle de Toulon, contre la création contemporaine. Sans fléchir, de plateaux de télévision en radios, le ministre de la Culture a soutenu un directeur contre "un parti politique qui s’en prend en premier lieu à la culture". De même, il se voit aujourd’hui contraint de préparer un projet de loi "garantissant le pluralisme dans les bibliothèques". Sombre mais nécessaire retournement après les lois de décentralisation qui ont accordé des pouvoirs accrus aux maires.

Mais si ces déclarations sont fermes, elles ne peuvent suffire. Les 29 "projets de quartier" du ministre de la Culture sont une goutte d’eau dans un océan de problèmes. Les politiques culturelles ont démontré leurs limites dans l’élargissement des publics. Subventions, gratuité ou bas tarifs ont peu d’utilité s’il n’y a pas de motivation réelle pour une exposition, un livre, ou un musée. Il faut non seulement contrer Bercy dans toutes ses tentatives pour rogner les moyens culturels, mais également prendre des initiatives qui vont bien au-delà du débat sur le déséquilibre Paris-province et concernent au premier chef l’enseignement. C’est sur le terrain que se jouera la bataille du pluralisme culturel. S’il y a désintérêt du public, tous les mauvais coups sont possibles.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°34 du 1 mars 1997, avec le titre suivant : Les artistes rejoignent la Fronde

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