L’énigme des Ménines

Sous les repentirs, un manifeste politique

Par Le Journal des Arts · Le Journal des Arts

Le 1 mars 1997 - 496 mots

S’appuyant sur l’Iconographia de Cesare Ripa, parue en 1595, et sur l’examen approfondi des repentirs de Vélasquez, Manuela Mena, sous-directeur de la Conservation du Musée du Prado à Madrid, a récemment proposé une interprétation nouvelle et convaincante des Ménines.

MADRID - Au temps du Gene­ralissimo Franco, les Ménines étaient accompagnées d’une plaque proclamant officiellement qu’il s’agissait ni plus ni moins du tableau le plus important au monde… Cette mention a bien sûr disparu, mais le grand tableau de Vélasquez demeure pour les Espagnols une véritable icône. Ainsi, lors d’une récente conférence qui a été ovationnée, Manuela Mena, le conservateur bien connu du Prado, a proposé une interprétation nouvelle, simple et convaincante de cette œuvre. Son regard a tout d’abord été attiré par la manchette de la naine Mari-Bárbola, que Vélasquez a chargée à la brosse d’un blanc éclatant, avant de s’attarder sur d’autres détails révélateurs : le chien au pied de la naine, la bague que celle-ci tient entre ses doigts, qu’on remarque à peine, et l’interprétation allégorique que l’on peut faire des tableaux de l’arrière-plan feraient des Ménines une puissante affirmation de la nécessité d’obédience et de loyauté à la royauté. Surtout, comme l’a fait Manuela Mena, lorsque ces détails sont interprétés à la lumière de l’Iconographia de Cesare Ripa (1595), dont on sait combien elle a influencé l’art de l’époque.

Sécurité de l’Espagne
En outre, les rayons X ont révélé, pour la première fois, des repentirs qui laissent penser que ce tableau était d’abord destiné à être vu d’un large public : l’infante Marguerite-Marie lève le bras d’une façon impérieuse, tandis qu’à gauche, sous le chevalet et l’autoportrait du tableau actuel, apparaissent les traces d’un drapé, peut-être un rideau, ainsi qu’un vase de fleurs posé sur une table. Manuela Mena affirme que l’étude du contexte historique de la commande et des changements postérieurs apportés au tableau résolvent en grande partie le caractère énigmatique des Ménines. Au moment de la commande, Philippe IV est sans héritier mâle, ce qui menace à la fois la lignée des Habsbourg et la sécurité de l’Espagne. Pour éviter le pire, il a l’idée sans précédent d’imposer sa fille comme héritière au trône : le tableau de Vélasquez devait sans aucun doute faire partie de la campagne de propa­gan­de censée favoriser les inten­tions du roi d’Espagne.

Cependant, la naissance d’un fils en novembre 1657 bouleverse ces plans. L’œuvre perd non seulement tout son sens, mais elle risque même d’être utilisée à des fins subver­sives ! Un an plus tard, Vélasquez est fait chevalier et entreprend de retravailler le tableau. Il retaille la toile, gratte puis repeint tout le côté gauche, où il se représente avec la croix de Saint Jacques. Enfin, il modifie le geste de l’infante, qui tend maintenant la main vers un verre d’eau… Ce faisant, l’artiste efface tous les symboles qui faisaient de la toile un manifeste politique et la transforme en une scène de vie à la cour, davantage destinée à être exposée en famille qu’en public.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°34 du 1 mars 1997, avec le titre suivant : L’énigme des Ménines

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