L’éclat des Fauves

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 6 septembre 2011 - 841 mots

Le fauvisme s’est imposé comme le mouvement de prédilection de nouveaux acheteurs séduits par son chromatisme audacieux et une offre relativement abondante.

« La simplification et l’accentuation des formes, l’autonomisation relative de la couleur, l’aplatissement de l’espace, l’apparence d’improvisation rapide, la texture brutalement visible, une immédiateté agressive. » C’est en ces termes que l’historien de l’art Jean-Claude Lebensztejn décrivait l’onde de choc de 1905-1906 dans le catalogue de l’exposition « Le fauvisme ou l’épreuve du feu. Éruption de la modernité en Europe », en 1999 au Musée d’art moderne de la Ville de Paris. « L’immédiateté agressive », qui avait en son temps désarçonné le critique d’art Louis Vauxcelles, s’est mue en force séductrice chez les amateurs actuels. 

Derain et Vlaminck  en vedettes
« Le fauvisme est historique, rare et facile d’approche. C’est le mouvement qui attire le plus les nouveaux collectionneurs, souligne Thomas Bompard, spécialiste chez Sotheby’s. Les tableaux fauves font presque toujours la couverture des catalogues de ventes, car ils sont énergiques, très colorés. Il s’agit du visage solaire d’une révolution picturale, alors que l’expressionnisme en est la face tourmentée. » Surtout, à l’inverse d’autres courants modernes, il existe assez d’œuvres disponibles pour alimenter le marché, même à doses homéopathiques. « Il y a des grands tableaux fauves en mains privées, ce qui n’est plus le cas pour les artistes [ayant appartenu au groupe] Der Blaue Reiter ou pour le cubisme des bonnes années. Même s’il n’en passe qu’un ou deux pas an, c’est déjà énorme », souligne Thomas Seydoux, spécialiste chez Christie’s.

Bien qu’Henri Matisse soit considéré comme le chef de file de ce mouvement, ou que Georges Braque s’y soit frotté avec bonheur, les artistes les plus recherchés, tels André Derain et Maurice de Vlaminck, sont ceux pour qui la période fauve a marqué l’acmé de leur carrière. « Derain connaît son apogée avec le fauvisme. Pour Matisse, c’est seulement un grand chapitre, une étape, estime Thomas Seydoux. De même, les chefs-d’œuvre de Raoul Dufy ne sont pas fauves et datent plutôt des années 1920-1930. Pour Van Dongen, l’apothéose correspond à l’orientalisme plus qu’au fauvisme. » En revanche, si Derain fait des étincelles à Collioure et Vlaminck brille à Chatou, l’un et l’autre ne retrouveront plus jamais la vigueur qui les aura alors brièvement animés. Le premier glissera vers un style byzantin ou étrusque, pendant que le second enchaînera les paysages neigeux. Le marché opère d’ailleurs une nette différence. « Un très grand Derain fauve pourrait atteindre 20 à 30 millions d’euros, alors que ses œuvres postérieures valent entre 20 000 et 500 000 euros », souligne Thomas Seydoux. En juin 2010, chez Sotheby’s à Londres, Arbres à Collioure de Derain, issu de la collection Vollard, a été vendu 16,3 millions de livres sterling (19,5 millions d’euros). Un an auparavant, chez Sotheby’s à New York, Barques au port de Collioure s’envolait pour 14,1 millions de dollars (9,6 millions d’euros). Vlaminck n’est pas en reste. En mai dernier, Paysage de banlieue (1905) a décroché le prix record de 22,5 millions de dollars (15 millions d’euros) chez Christie’s à New York, achat d’un Américain talonné par des sous-enchérisseurs asiatiques et russes.

Car, si Sergueï Chtchoukine fut en son temps un adepte des Fauves, les collectionneurs russes actuels y sont tout autant attachés. En juin 2005 chez Sotheby’s, Le Jardinier (1904) de Vlaminck est emporté, à Londres, pour 4,8 millions de livres sterling (7,2 millions d’euros) par un acheteur russe. L’année suivante, chez Sotheby’s à New York, un de ses compatriotes s’empare, pour 6,8 millions de dollars (5,4 millions d’euros), de Paysage à l’Estaque d’André Derain.

On peut deviner l’appétit de ces nouveaux acheteurs si un tableau fauve de Matisse apparaissait sur le marché. Les toiles fauves de Braque émergent, quant à elles, par intermittence, sans prétendre aux prix de Derain ou Vlaminck. Son Paysage à l’Estaque, explosion de mauves et de jaunes, a tout juste été adjugé 4,7 millions de dollars chez Christie’s, en 1989. D’autres paysages de cette période ont plafonné autour de 3 millions de dollars ces dix dernières années. Chez beaucoup d’artistes de second rang, l’onde de choc s’est mue en simple ressac. Othon Friesz a ainsi mis du temps avant de se délester des remugles impressionnistes et de trouver l’inspiration à La Ciotat et à l’Estaque en 1907. Mais pointent très vite les leçons de Cézanne, comme on le constate dans Arbres, automne (1906), adjugé pour 650 400 dollars (539 000 euros) en 2005 chez Sotheby’s, à New York. De même, si Louis Valtat use parfois de la palette des peintres rugissants, comme le montre l’audacieux chromatisme du Café maure adjugé pour 222 614 euros chez Aguttes en 2006, à Paris, il n’utilise jamais la couleur pour définir l’espace pictural. 

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°352 du 9 septembre 2011, avec le titre suivant : L’éclat des Fauves

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