L’affaire Chagall

Le taupier et la gouvernante

Des galeristes de renom écroués pour recel de Chagall volés

Le Journal des Arts

Le 1 janvier 1995 - 558 mots

Le détournement, le recel et la vente de plusieurs dizaines de gouaches, aquarelles, lithographies et dessins de Marc Chagall, d’une valeur estimée à 50 millions de francs au moins, ont conduit à l’incarcération de trois gérants de galeries parisiennes.

PARIS - Huit personnes ont été mises en examen, dont cinq sont écrouées, dans le cadre de l’information ouverte par le juge Arlette Maurier, premier juge d’instruction à Paris, après les renseignements fournis à la mi-septembre par un "informateur issu du milieu de l’art" à l’Office de répression des vols d’œuvres et objets d’art concernant l’existence d’un important trafic de Chagall volés.

L’affaire remonte à la mort du peintre, en 1985. Les 10 000 œuvres léguées par Chagall à ses trois héritiers – sa dernière femme, Valentine Chagall ; sa fille Ida, née de son premier mariage avec Bela ; et son fils naturel, le musicien David Mc Neil – sont partagées par tirage au sort. La veuve de l’artiste ne se soucie guère du lot qui lui est échu, et les œuvres demeurent entreposées dans l’atelier du peintre, dans leur villa des hauteurs de Saint-Paul-de-Vence (Alpes-Maritimes), "La Colline".

En ces années de gloire du marché de l’art, ce trésor artistique ne manque pas d’exciter les convoitises de certains aigrefins de la région. Parmi eux, Jean-Luc Verstraete – écroué le 17 octobre en compagnie de son complice Georges Guerra –, un entrepreneur de 38 ans qui dirige une société spécialisée dans l’éradication des taupes.

Hâbleur, le taupier ne tarde pas à suborner la gouvernante et gardienne de "La Colline", Irène Menskoï, 46 ans au moment des faits. Elle dérobera, entre juillet 1989 et février 1990, des dizaines de gouaches, aquarelles, lithographies et dessins dans l’atelier du peintre – pour la plupart, des œuvres tardives et de petit format, – avant d’être mortellement blessée par son mari, le 8 février 1990, au cours d’une scène de ménage.

Une quinzaine d’œuvres récupérées
Pour régler le problème délicat de l’écoulement sur le marché de l’art des œuvres volées, Verstraete s’adresse à quelques gérants de galeries parisiennes, aujourd’hui sous les verrous: Yves Hémin (de la galerie Marcel Bernheim*), Denis Bloch (de la galerie Denis Bloch) et Josée-Lyne Falcone (de la galerie Falcone-Carpentier). Joël Cohen, gérant de la galerie Adler, et qui a travaillé avec Yves Hémin est également mis en examen.

Par l’intermédiaire de ces galeries qui ont pignon sur rue, et grâce à la collaboration intéressée de prête-noms qui font office d’anciens propriétaires, les œuvres dérobées peuvent être présentées au comité Chagall qui délivre les certificats d’authenticité sans rien soupçonner. Ainsi, certaines d’entre elles se retrouveront en vente chez Christie’s et Sotheby’s, en toute impunité. Un trafic d’autant plus lucratif qu’à l’époque les gouaches se vendaient deux à trois fois plus cher que leurs estimations d’aujourd’hui (environ 1 million de francs).

De source judiciaire, on affirme qu’"au moins quarante œuvres et sans doute beaucoup plus, dont dix-neuf sont aujourd’hui à l’étranger – au Japon et en Israël principalement –, ont été illicitement vendues". Une quinzaine d’œuvres ont pu être récupérées, parmi lesquelles la Flûte enchantée, l’Amoureux au bouquet de glaïeuls et à la corbeille, le Clown et l’oiseau, le Juif en prière, l’Âne vert…

* La galerie Marcel Bernheim, située au 18, avenue Matignon, n’a rien à voir avec la galerie Bernheim Jeune, située au 83, faubourg Saint-Honoré et au 27, avenue Matignon.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°10 du 1 janvier 1995, avec le titre suivant : Le taupier et la gouvernante

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