Le retable aux ailes coupées

Édimbourg n’a pu les réunir

Par Martin Bailey · Le Journal des Arts

Le 5 juin 1998 - 469 mots

La Lamentation, que les National Galleries of Scotland viennent d’acquérir, n’est que le panneau central d’un retable du début de la Renaissance allemande, démembré en 1993 lors de sa première mise en vente. Édimbourg, faute de moyens, n’a pu mettre fin à cette séparation, dictée par l’appât du gain.

LONDRES (de notre correspondant) - Les National Galleries of Scotland viennent d’acquérir le panneau central d’un important retable allemand datant de 1519. Mais, par manque d’argent, elles n’ont pu acheter les volets qui en avaient été séparés il y a cinq ans, au moment de la vente du triptyque par l’église Saint Martin de Little Ness, dans le Shropshire. D’après le catalogue de Sotheby’s, ils représentent saint Christophe et saint Georges, et seraient de la main du même artiste que la Lamentation. Ils ont pourtant été vendus séparément. Le mois dernier, un porte-parole de Sotheby’s a reconnu que la décision de disperser les panneaux avait été “difficile” à prendre. Mais dans l’église de Little Ness, les trois parties n’étaient pas physiquement réunies et, si elles formaient vraisemblablement un triptyque, il n’en existe aucune preuve absolue. Sotheby’s avait estimé qu’une vente séparée serait plus avantageuse financièrement pour l’église de Little Ness.

Le 8 décembre 1993, le panneau central avait atteint 232 500 livres sterling, et les volets 40 000 livres. La licence d’exportation avait été différée pour la Lamentation mais, aucun collectionneur britannique ne s’étant présenté, l’œuvre avait été exportée aux États-Unis et acquise par la galerie Alfred Bader Fine Arts, de Milwaukee, et le marchand new-yorkais Otto Nauman. Le mois dernier, on apprenait qu’Édimbourg avait acheté la Lamentation à Otto Nauman, grâce à une subvention du National Art Collection Fund d’un montant de 90 000 livres.

La paternité de cette œuvre a été longuement discutée et, ces dernières années, la Lamentation a été attribuée à un suiveur de Dürer ou de Cranach, voire plus simplement à un maître de Franconie. Les volets, d’une valeur moindre en raison de leur état, ne nécessitaient pas de permis d’exportation. Propriété du consortium d’investisseurs Downey Holdings, ils sont aujourd’hui proposés sur le marché au prix de 110 000 livres, par l’intermédiaire de Lingenauber. Les National Galleries of Scotland en ont été averties mais n’ont pas réussi à réunir les fonds nécessaires. Elles ont en outre le sentiment que leur valeur est surestimée. Le démembrement de ce triptyque, dans le droit fil des méthodes utilisées au cours des siècles passés, est d’autant plus regrettable si l’on considère les liens incontestables entre la Lamentation et les volets : la petite silhouette du donateur barbu de la Lamentation – dans laquelle on croit reconnaître le margrave Albrecht von Brandenberg-Ansbach – apparaît sous les traits de saint Georges sur le volet droit. Michael Clarke, le conservateur d’Édimbourg, est “très déçu” que des difficultés financières aient interdit leur réunion.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°62 du 5 juin 1998, avec le titre suivant : Le retable aux ailes coupées

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