Incendie

Le Parlement de Rennes, la très ancienne dignité bretonne

Le Journal des Arts

Le 1 mars 1994 - 573 mots

La nuit du 4 au 5 février 1994 fera désormais partie des grandes heures de Bretagne, mais non des plus glorieuses. Avec la destruction de l’ancien Parlement de province, réduit en cendres, s’est consumé à Rennes un coin du manteau d’hermine dont se couvrait fièrement le peuple breton.

RENNES - Emblème des ducs de Bretagne, cette hermine était venue se pendre à la robe des magistrats peu après que le duché eut été rattaché à la France, comme pour assurer une continuité symbolique à l’histoire. Voilà sans doute en quoi, la fonction symbolique aidant, le Parlement de Bretagne était l’expression pure de la très ancienne dignité bretonne. Voilà aussi pourquoi les Bretons pleurent aujourd’hui sur des ruines, dont on dit que 15 ans de restauration et 500 millions de francs seront nécessaires pour faire disparaître la plaie du centre de la ville.

La valeur artistique du bâtiment était inestimable. Et même si les murs sont encore debout, et la restitution envisagée, il ne sera pas possible de rendre au Parlement de Bretagne le vieillissement qui parachève et accomplit une œuvre faite pour durer, la vénérable patine dont la bâtisse s’était partout chargée pour témoigner de sa capacité à résister au temps.

Aimer trop tard
Tel qu’il fut conçu par Germain Gauliez entre 1615 et 1617, le Parlement de Bretagne présente un plan carré, avec cour intérieure, cantonné de quatre pavillons d’angles. Sur la base de ce projet, Salomon de Brosse, immédiatement consulté, vint à Rennes en 1618 et proposa quelques modifications touchant à l’élévation de la façade, à l’agrandissement de la salle des procureurs – dont il ne reste rien après l’incendie – et à l’élargissement des galeries de la cour. Ces divers aménagements permirent de moderniser considérablement l’aspect du bâtiment qui témoigne, par l’ordonnancement équilibré de sa façade, par les proportions plus élégantes de ses volumes intérieurs, des toutes premières orientations de l’architecture française vers un vocabulaire classicisant.

Cette enveloppe de pierre, pour laquelle les parlementaires rennais avaient sollicité l’architecte de Marie de Médicis, reçut un décor intérieur à sa mesure. Dès l’achèvement des travaux, en 1655, Charles Errard vint de Paris, où il travaillait à l’embellissement des maisons royales, et conçut avec Noël Coypel, son proche collaborateur, l’exceptionnel plafond de la salle d’audience de la Grand’Chambre. L’ensemble – très endommagé par le sinistre, mais miraculeusement préservé – fut exécuté à Paris et transporté à Rennes par voie d’eau (1659-1662). Les boiseries arrivèrent en 1659, les peintures en 1662. La décoration se poursuivit avec les interventions non moins prestigieuses – désormais très affaiblies – de Jean Jouvenet (1694-95, Conseil de la Grand’Chambre) et de Louis Ferdinand Elle (1705, Chambre des Enquêtes) qui vinrent également de Paris pour la circonstance.

L’atteinte portée au Parlement de Bretagne – l’un des fleurons de l’art français – n’est pas seulement, on le voit, une atteinte portée au peuple breton, cela d’autant que le décor qui y était abrité constituait le dernier exemple conservé parmi les plus belles productions parisiennes des années 1660 à 1665. Le merveilleux ensemble des Tuileries, lui aussi dû à l’équipe Errard-Coypel, fut ravagé par le feu, en 1871, par la même volonté d’un peuple qui attend trop souvent d’avoir cassé ses jouets pour commencer à les aimer... Et l’on comprend, alors, que chacun rejette sur l’autre la responsabilité de la catastrophe. Bêtise, incurie et indifférence trop tard conçues : une blessure profonde portée au patrimoine commun est toujours le fait d’une responsabilité consensuelle.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°1 du 1 mars 1994, avec le titre suivant : Le Parlement de Rennes, la très ancienne dignité bretonne

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