Le Musée de l’Homme résiste

Le Journal des Arts

Le 7 décembre 2001 - 855 mots

En s’opposant par un mouvement de grève au transfert des collections ethnologiques vers le Musée du quai Branly, les personnels du Musée de l’Homme manifestent leur inquiétude sur l’avenir de leur institution. Après vingt ans de promesses non tenues, ils réclament des engagements fermes pour l’avenir.

PARIS - Le 19 novembre, les personnels du Musée de l’Homme ont entamé une grève pour s’opposer au déménagement de quelque 300 000 objets ethnographiques non européens. Ceux-ci doivent être dirigés vers un local provisoire dans le XIIIe arrondissement, pour être traités, photographiés, puis mis en caisses dans les réserves de la Bibliothèque nationale, avant de rejoindre le Musée du quai Branly. Les revendications des grévistes sont claires : maintien du Musée de l’Homme, de ses missions, de ses collections, de sa bibliothèque et de ses personnels. Installé depuis 1937 au premier et deuxième étages de l’aile de Passy, au Palais de Chaillot, le musée créé par Paul Rivet est attaché à une tradition d’appréhension de l’homme dans sa totalité biologique, sociale et culturelle, dans sa diversité comme dans son universalité. Ôter les collections ethnologiques viderait de sa substance l’institution, qui a reçu le soutien de personnalités scientifiques de premier plan, françaises ou étrangères. Reçue au ministère de l’Éducation nationale, le 30 novembre, une délégation a obtenu l’assurance qu’il était hors de question de fermer le Palais de Chaillot. Toutefois, il en faudra plus pour rassurer des personnels d’autant plus inquiets que, depuis vingt ans, aucune des promesses de rénovation du musée n’a été tenue. Cette négligence prolongée des ministères de l’Éducation et de la Recherche rend insupportables les critiques sur l’état désastreux des collections, sur la vétusté de la muséographie et l’insuffisance des espaces, qui justifieraient la création du Musée du quai Branly. Ce ne sont pourtant pas les projets qui ont manqué. Dès 1994 avait été réalisée une étude de faisabilité pour l’extension des réserves pour les collections et le fonds de la bibliothèque en sous-sol, pour un budget estimé alors entre 96 et 132 millions de francs. Cela aurait permis de disposer en surface de deux étages de 14 500 m2. Des projets globaux ont été élaborés, dont le coût aurait avoisiné 500 à 600 millions de francs. On est loin du milliard et demi que devrait coûter le Musée du quai Branly.

Depuis dix ans, les rénovations des salles d’anthropologie et des salles Amériques ont été en partie financées sur les fonds propres du musée.

En l’absence de budget de fonctionnement, il faut pourvoir sur ces mêmes fonds propres à l’entretien du bâtiment, à l’organisation des expositions et aussi au recrutement de contractuels. En effet, de nombreux postes sont restés vacants après des départs à la retraite.

En laissant les effectifs du laboratoire d’ethnologie se réduire des deux tiers en dix ans, la tutelle a bien préparé le terrain pour la liquidation de ce département.

Reconnaissant que la rénovation du Musée de l’Homme est un sujet à l’étude depuis 1988, Jean-Claude Moreno, administrateur provisoire du Museum national d’histoire naturelle, dont dépend l’institution de Chaillot, explique que “le Museum est aujourd’hui en pleine transformation avec la mise en place d’une nouvelle direction et d’un nouveau conseil scientifique. Une réflexion va être lancée sur l’avenir du Musée de l’Homme. L’inquiétude des personnels est légitime, mais ils pourront participer à la reconstruction d’un nouveau musée”. Le différend sur le transfert des collections pourrait être réglé après la nomination d’une nouvelle direction.

Pour André Langaney, directeur du laboratoire d’ethnologie, “des compromis sont possibles, mais il faut des partenaires qui se respectent. Nous sommes prêts à participer à un nouveau projet complémentaire du Musée du quai Branly, ajoute-t-il, puisque, de toute façon, ce dernier n’a pas l’espace pour accueillir la bibliothèque et toutes les collections dont la plus grande partie n’a rien à voir avec l’art”. À ce propos, on peut s’interroger sur le transfert total de la bibliothèque, y compris des ouvrages relatifs à l’anthropologie et à la préhistoire.

Pour les grévistes du Musée de l’Homme, le Musée du quai Branly constitue un véritable repoussoir. “On oublie un peu que la vie des collections est en permanente modification, rappelle Stéphane Martin, président de l’établissement public du Musée du quai Branly (EPMQB). Le Musée de l’Homme tel qu’il existe aujourd’hui date des années 1930. Beaucoup d’objets venaient d’autres musées, comme celui de Saint-Germain-en-Laye.” Néanmoins, depuis 1882, il existait un Musée d’ethnographie au Trocadéro. Stéphane Martin souligne que les modalités du transfert des collections ont été déterminées par une convention signée avec le Museum national d’histoire naturelle, en accord avec le décret de création de l’EPMQB en décembre 1998. “Cette convention, adoptée par sept voix contre quatre et huit abstentions au conseil d’administration du Museum, prévoit le déménagement d’une partie des collections mais pas de la totalité, précise André Langaney. Avant tout déplacement, une fiche complète doit être établie, et le Museum a une possibilité de recours contre toute demande du quai Branly.” Il constate par ailleurs que “les décisions interministérielles ne nous ont jamais été transmises par la voie hiérarchique”. En outre, “certains des donateurs ou leurs héritiers sont prêts à retirer leurs dons s’ils quittent le Musée de l’Homme”.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°138 du 7 décembre 2001, avec le titre suivant : Le Musée de l’Homme résiste

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