Le mois vu par Me Olivier Coutau-Bégarie

Par Le Journal des Arts · Le Journal des Arts

Le 1 juillet 1994 - 1046 mots

Le Journal des Arts donne un nouveau rendez-vous à ses lecteurs. Chaque mois, l’actualité sera commentée par un acteur de la vie culturelle, artiste, conservateur, professionnel du marché de l’art... Nous ouvrons cette rubrique avec un jeune commissaire-priseur, Olivier Coutau-Bégarie, 38 ans. Natif de Bordeaux, il a toujours voulu exercer cette profession. Après des études de droit, puis des stages dans sa ville natale, il \"monte\" en 1979 à Paris où, après avoir été associé dans une étude, il dirige depuis 1992 sa propre étude, volontairement généraliste.

Le JdA. Dans votre domaine, l’actualité est marquée par le projet de fédération d’études lancé par le président de Drouot, Me Joël-Marie Millon. Qu’en pense un jeune commissaire-priseur, qui a connu l’association, et qui semble très heureux à présent d’être seul maître à bord ?
Olivier Coutau-Bégarie. Au premier abord et dans le principe, je suis tout à fait pour, à condition bien sûr que toutes les règles soient respectées de tous les côtés. Mais si, pour les très grandes ventes, il faut mettre en place ce "super Drouot", il y a en revanche beaucoup de grandes, de moyennes et de petites ventes pour lesquelles ce sera impossible. En Angleterre, Sotheby’s et Christie’s ont beau avoir les trois-quarts du marché, de nombreuses petites maisons existent néanmoins. Parfois, elles organisent de grandes ventes. Il suffit de lire une gazette anglaise pour découvrir les activités de maisons dont on n’a jamais entendu parler en France. Par ailleurs, si l’on observe, au cours des dix dernières années, la valse des associations dans les études, les départs de commissaires-priseurs qui comme moi préfèrent reprendre leur liberté, on peut imaginer que la réalisation de ce projet sera très difficile. Pour le moment, je préfère un petit chez moi qu’un grand chez les autres. Et qu’on ne vienne pas nous dire : vous disparaîtrez tous si vous ne vous regroupez pas. Cela n’est pas vrai. Si je le pensais, je ne me serais pas installé seul dans une charge à Paris.
Je suis tout à fait d’accord pour participer à des ventes de compagnie, en confiant des objets ou des tableaux, si l’occasion d’un tel regroupement peut favoriser la vente. Mais de là à mettre tout en commun de A à Z, à devenir "salarié", il y a une marge. De toute façon, la profession perdrait de sa substance et l’une de ses motivations essentielles.

Dans un entretien avec le JdA, le ministre de la Culture, Jacques Toubon, s’est déclaré en faveur de l’ouverture du marché français à Sotheby’s et Christie’s. Votre avis ?
Je dirai tout d’abord que Christie’s et Sotheby’s sont déjà actifs en France. Ils ont des bureaux, ils peuvent obtenir la vente de collections françaises, la collection Givenchy en témoigne. Ils peuvent, en fait, faire ce qu’ils veulent, et bénéficient d’une sorte d’aura, qu’ils savent très bien entretenir. À partir du moment où nous serions sur le même plan, où les frais de ventes seraient les mêmes, je crois qu’ils auraient plus à y perdre que nous. Peut-être les très grandes études parisiennes souffriraient-elles, mais pas les autres.
Quoiqu’il en soit, si nous perdons le monopole de vente, se posera le problème de l’indemnisation. Pour ma part, j’ai racheté une charge sans clientèle, sans archives, avec seulement son droit de présentation, un titre nu. J’ai donc acheté ce monopole. S’il est supprimé, je pourrais être amené à demander son remboursement.

Dans l’affaire du Jardin à Auvers, l’État a été condamné en première instance à payer plus de 422 millions de francs d’indemnité au propriétaire du tableau. La Cour d’appel a mis son arrêt en délibéré.
Je suis tout à fait pour la libre circulation. Si l’on veut conserver les œuvres sur le territoire français, les musées doivent les acquérir, au prix du marché international, sinon le vendeur est totalement lésé. L’estimation du Jardin à Auvers est peut-être exorbitante, mais que l’État soit condamné à indemniser, pourquoi pas...

Beaucoup de protestations se sont élevées à propos des dispersions récentes de décors et de meubles de château. Le ministère de la Culture étudie un projet de loi pour éviter de tels démembrements.
Je suis tout à fait pour. Toutefois, cela dépend des décors et des cas. Si le lieu est mal entretenu, s’il y a un risque pour la conservation du décor, autant le démonter. Mais en revanche, lorsque le décor et le lieu ont traversé les siècles jusqu’à nos jours, pourquoi ne pas envisager un régime de protection similaire à la Grande-Bretagne, où le National Trust conserve les décors, le mobilier et même la famille.

Un Institut d’histoire de l’art va enfin être créé rue de Richelieu, dans l’ancienne Bibliothèque nationale. Ce projet est-il utile pour vous ?
Je trouve le projet très intéressant. Je vais très souvent en bibliothèque ; se documenter n’est finalement pas très difficile. Je vais à la Chambre nationale, à la Bibliothèque Forney et aux Arts Déco. Quant à la Bibliothèque nationale de France, j’attends de voir sa réalisation pour me prononcer. J’étais au départ contre la pyramide du Louvre, mais je considère à présent le Grand Louvre comme une très belle réalisation. Seule réserve : je regrette que de nombreuses donations faites au XIXe siècle ne soient pas exposées. Pourquoi donner, si le musée ne montre pas ?

La suppression des émissions régulières sur les arts plastiques par les chaînes de télévision ?
C’est scandaleux. C’est le triomphe de l’audimat sur des émissions dont l’audience est réduite. Toutes les chaînes sont rivées à l’audimat. Comme je suis un intoxiqué de télévision, je me console avec le câble, où il y a des émissions très intéressantes.

Comment un commissaire-priseur voit-il les nouveaux démêlés de Bernard Tapie, la saisie, le déménagement d’une partie de ses meubles ?
Cela m’amuse beaucoup. C’est "Dallas", le feuilleton qu’on suit tous les jours. Mais comme client, Bernard Tapie doit être difficile à gérer. S’il y a vente, comme on peut l’imaginer, cela fera un beau catalogue !

Quelles seraient les quatre œuvres que vous emporteriez sur une île déserte ?
Le cabinet réalisé vers 1680 par Cucci pour Louis XIV, aujourd’hui dans la collection du duc Northumberland au château d’Alnwick, Le déjeuner de Boucher au Louvre – on peut avoir faim sur une île déserte ! –, une peinture de Nicolas de Staël, et l’Ancien et le Nouveau Testament.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°5 du 1 juillet 1994, avec le titre suivant : Le mois vu par Me Olivier Coutau-Bégarie

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