Enquête

Le grand chantier des musées

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 19 juillet 2007 - 1790 mots

Budget phagocyté par les coûts de fonctionnement, déséquilibre de Paris avec les régions : l’heure n’est-elle pas venue de repenser la politique nationale en leur faveur ?

Les dossiers accumulés sur les bureaux de la Rue de Valois, en matière de musées, ne manqueront pas d’occuper son prochain locataire. Face à l’ampleur du mouvement d’opinion suscité par le projet de cession de la marque Louvre à Abou Dhabi (lire le JdA n°249, 15 décembre 2006, p. 3 ), le sujet ne pourra pas être balayé d’un revers de manche. Outre le problème de l’ingérence du politique dans la gestion des musées, il faudra aussi prendre la décision de pérenniser, ou non, l’Agence internationale des musées de France (AIMF), dont les statuts sont en cours de rédaction. Filiale commune aux musées, l’AIMF prendra la forme d’une société par actions simplifiée, dont les parts seront détenues par tous les musées ayant le statut d’établissement public, mais aussi par la Réunion des Musées Nationaux (RMN). Les profits émanant des actions internationales auront pour but, selon le souhait initial du ministère de la Culture, de financer les travaux de rénovation des établissements y participant. L’objectif est de trouver de nouvelles sources de financement pour des musées dont le budget est littéralement accaparé par les charges de fonctionnement, qui représentent 91 % des crédits budgétaires. Pourtant, les musées nationaux manquant le plus cruellement de moyens, et dont les besoins en termes de travaux sont désormais impérieux, ne sont pas les plus compétitifs à l’international, leur statut de service à compétence nationale leur interdisant par ailleurs l’accès à l’AIMF. Ainsi du Musée d’archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye, rénové par petites touches depuis 2001, alors que certaines salles sont fermées depuis plus de trois ans, et qui attend de bénéficier de travaux de l’envergure de ceux du Musée national de Préhistoire des Eyzies-de-Tayac, rouvert en juillet 2004 après dix ans de travaux. Que dire encore du Musée national du Moyen Âge – Thermes de Cluny qui, avec autant de visiteurs que le Musée Guimet (300 000 par an) et l’une des plus importantes collections d’art médiéval au monde, qui réclame en vain le statut d’établissement public ? Depuis des années, son chantier de rénovation se fait toujours attendre. Or, de l’aveu même de la direction des musées de France (DMF), le bâtiment est dans un état sanitaire catastrophique, ses équipements techniques obsolètes, son accueil du public indigent et son parcours muséographique incohérent. Face à une tutelle velléitaire et au manque d’ambition – ou au pragmatisme – de sa nouvelle directrice, Élisabeth Taburet-Delahaye, qui évoque désormais un projet « plus raisonnable », les travaux de couverture des thermes antiques, recommandés par la Commission supérieure des Monuments historiques en 2004, sommeillent toujours. La DMF distille en effet ses travaux au compte-gouttes. À Limoges, le Musée national de la Porcelaine Adrien-Dubouché attend toujours les coups de pioche annoncés en février 2004 par le ministre de la Culture, Jean-Jacques Aillagon, visant à doubler ses surfaces d’exposition. Au Musée national de la céramique, à Sèvres, où l’on se dit « pauvres mais libres », les rénovations actuelles prennent place « dans la mesure des moyens de la DMF », 150 000 euros ayant été octroyés en 2006. Le Musée Jean-Jacques Henner, à Paris, est quant à lui fermé depuis août 2005 alors que ses travaux ne commenceront qu’au printemps 2007 (restructuration totale du bâtiment pour 900 000 euros). Comment toutefois poursuivre ce grand mouvement de rénovation du patrimoine des musées de France quand leur subvention plafonne à 20,5 millions d’euros, contre 288 millions d’euros pour les musées dotés du statut d’établissement public (RMN comprise), dont 122 millions pour le seul Musée du Louvre ?

Budgets vampirisés
Autre situation préoccupante : le parc de châteaux-musées dépendant de la DMF. Depuis deux années consécutives, la Rue de Valois annonce un plan spécial en leur faveur, mais seuls 2,37 millions d’euros en crédits de paiement leur seront octroyés en 2007, quand les résidences présidentielles en obtiennent 4,5 millions ! Pour l’heure, seul Blérancourt (Aisne), occupé par un Musée national de la coopération franco-américaine qui doit maintenir son standing, est en travaux, alors que Fontainebleau bénéficiera en 2007 d’une manne financière inespérée provenant essentiellement du mécénat du Crédit Agricole (1,4 million d’euros). La nomination d’un ancien membre de la garde rapprochée du ministre à sa tête n’est sans doute pas étrangère à ce regain d’intérêt. Si un appel d’offre vient d’être lancé pour les travaux du Musée national du château de Bois-Préau, fermé depuis 1995 –, ceux-ci seront cofinancés par la ville de Rueil-Malmaison qui pourra en occuper temporairement le rez-de-chaussée. Pau et Compiègne, dont l’état est préoccupant, devront encore attendre. Face à l’urgence des travaux à engager dans une majorité des musées nationaux, comment pourrait-on financer la mesure de gratuité proposée dans leurs programmes par les candidats UMP et PS, dont une étude récente (lire p. 12) révèle par ailleurs qu’elle reste secondaire pour le public dans la construction d’un projet de visite ? (lire Anne Gombault, Christine Petr, La gratuité des musées et des monuments côté publics, La Documentation française, 2006). Car, par ailleurs, le budget alloué aux musées demeure vampirisé par de nouveaux investissements immobiliers. À Marseille, le Mucem, Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (ex-Musée national des arts et traditions populaires), a certes pris beaucoup de retard, mais ses travaux devraient être lancés d’ici au début de l’année 2008, pour s’achever à l’horizon 2010. D’un coût global de 144,3 millions d’euros, financés seulement à hauteur de 45 millions par les collectivités – dont une ville de Marseille largement surendettée –, le Mucem sera le premier musée national à être délocalisé en région. Mais la création d’un musée neuf ne se limite pas à la construction d’un bâtiment. Comme le souligne son directeur, Michel Colardelle, rappelant qu’en l’espace de onze années trente postes de l’équipe ont été supprimés, « le travail est énorme mais dénué de moyens. Actuellement, en qualification et en nombre, nous sommes configurés pour gérer un musée, pas pour en construire un nouveau ! »

La Cité de l’immigration
Autre investissement, à hauteur de 20 millions d’euros, celui de la Cité de l’immigration à Paris, créée officiellement le 1er janvier 2007 et qui prendra la forme d’un établissement public à caractère administratif, placé sous triple tutelle, mais financé à 60 % par le ministère de la Culture. Quant à la Cité de l’architecture et du patrimoine (CAPA), elle pourra enfin ouvrir dans son intégralité en septembre 2007, après dix ans de gestation et une enveloppe budgétaire écrémée au fil des années. Cette politique dispendieuse de grands travaux aura donc fait des victimes – au premier rang desquels ces nouveaux établissements, dont les projets ont sans cesse été revus à la baisse : musées nationaux mais aussi musées des collectivités territoriales, pour lesquels les subventions de l’État sont souvent décisives dans le lancement de travaux. Si le ministère crie haut et fort que les antennes du Centre Pompidou à Metz et du Louvre à Lens constituent une forme ambitieuse de décentralisation culturelle, il n’empêche que les budgets alloués aux musées des collectivités territoriales ont subi une forte décrue, avec une enveloppe globale d’environ 13 millions d’euros en 2006 contre 21 millions entre 2000 et 2004. Autre victime collatérale de ces choix politiques : les budgets d’acquisition des musées, qui s’étiolent au fil des années. Le projet de loi de finances (PLF) 2007 annonce ainsi 13,26 millions d’euros, soit un retour au niveau de 1995, quand il affichait 17,46 millions en 2006 et 46,6 en 2004 ! Comment les musées français pourront-ils être crédibles lorsqu’il faut dix millions d’euros pour acheter un tableau de Poussin classé trésor national ? Avec sagesse, le ministre a toutefois écarté la proposition du rapport Jouyet-Lévy (lire le JdA n°249, 15 décembre 2006, p. 3) de céder une partie des collections nationales de « moindre intérêt » afin de financer leur enrichissement. Car la question de la gestion des collections devra faire partie des préoccupations futures. Après les découvertes alarmantes de la Commission de récolement des dépôts d’œuvres d’art de l’État (CRDOA) (lire le JdA n°208, 4 février 2005, p. 5) sur la mauvaise tenue des inventaires des musées, un rapport éclairant remis en juillet 2006 à Renaud Donnedieu de Vabres (Jean-François Collinet, Éthique de la conservation et de l’enrichissement du patrimoine culturel) a avancé des propositions concrètes qui pourraient enfin garantir d’une bonne gestion des collections nationales : planification nationale des récolements, pérennisation de la CRDOA, dont la mission devrait s’achever en 2007 et qui pourrait être transformée en Commission nationale de l’inventaire du patrimoine public, création d’un Observatoire des acquisitions publiques et d’un Comité d’éthique pour le patrimoine culturel. Ces propositions appellent désormais une prise de décision. Simples et peu onéreuses, elles permettraient d’initier une politique de gestion dynamique et transparente des collections nationales. Après l’ère des grands investissements immobiliers et alors que le budget de la Culture ne pourra pas s’accroître indéfiniment, ne serait-il pas temps de privilégier enfin les collections ?

Les musées français en chiffres

- Nombre de Musées de France : 1 203 - Nombre de Musées nationaux : 34, dont 5 établissements publics (Louvre, Orsay, Rodin, Guimet, Quai Branly) - Budget de fonctionnement des musées nationaux : 266,68 millions d’euros (PLF 2007) - Crédits d’acquisitions : 13,26 millions d’euros (PLF 2007) - Crédits d’état pour les acquisitions des musées des collectivités territoriales (PLF 2007) : - Fonds régionaux d’acquisition des musées : 2,66 millions d’euros - Fonds du patrimoine : 5,05 millions d’euros - Subventions de la DMF en faveur des expositions déclarées d’intérêt national : 550 000 euros (PLF 2007) - Coût d’un jour de fonctionnement du Musée du Louvre : 418 894 euros (2006) - Coût d’un jour de fonctionnement du Centre national d’art et de culture Georges-Pompidou : 273 187 euros (2006) - Estimation du coût annuel par mètre carré des musées nationaux : 37 euros - Taux d’ouverture des salles des musées nationaux : 85,8 % (2005) ; prévision 2007 : 90 % Investissements immobiliers (budgets prévisionnels) : - Mucem : 144,3 millions d’euros - Cité de l’immigration : 20 millions d’euros - Cité de l’architecture et du patrimoine : 65 millions d’euros - Nouveau département des arts de l’Islam du musée du Louvre : 61 millions d’euros - La France compte en moyenne un musée pour 60 000 habitants (cf étude du Deps, 2003) - Nombre moyen de personnes employées dans les musées de France : 19 (hors Louvre, Orsay, Versailles, Centre Pompidou), dont près de la moitié pour le gardiennage. - 22% des musées ne proposent aucune mesure de gratuité Sources : Ministère de la culture et de la communication, Direction des Musées de France (DMF), Départements des études, de la prospective et des statistiques (Deps).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°254 du 2 mars 2007, avec le titre suivant : Le grand chantier des musées

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