Design

Le Design povera

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 30 mai 2003 - 690 mots

En 1997, feu Achille Castiglioni l’avait désigné “designer le plus prometteur de la jeune génération”. Quatre ans plus tard, il décroche, pour sa lampe baladeuse MayDay (Flos, 1998), un “Compasso d’oro”, plus haute distinction italienne, sinon mondiale, en matière de design. Installé à Munich depuis 1991, Konstantin Grcic est actuellement l’un des créateurs les plus convoités, en Allemagne et à l’étranger.

Il a un nom imprononçable : Grcic – prononcer “Gritchitche” –. Il promène une silhouette noire et longiligne que n’aurait pas renié son compatriote Otto Dix. À trente-huit ans, Konstantin Grcic est l’un des designers les plus captivants du moment, et pourtant l’un des moins connus du public. Depuis trois ans, il est ponctuel au grand rendez-vous du Salon du meuble de Milan (lire le JdA n° 170, 2 mai 2003) avec, à chaque fois, “juste ce qu’il faut” : une dose de surprise, une autre d’élégance. Son travail avec la firme allemande ClassiCon, notamment, est remarquable. En 2001, Grcic bousculait les habitudes avec un fauteuil à l’allure expressionniste, baptisé Chaos, qui révolutionnait complètement la fonction de s’asseoir. Cataclysme assuré pour les bonnes mœurs, l’assise est tellement étroite qu’on ne tient pas assis très longtemps. Normal, Chaos est un siège “d’attente”.
L’année dernière, Grcic a montré “Diana”, une collection composée d’une multitude de petites tables colorées, tels des papillons de métal plié. En avril enfin, dans l’antenne milanaise de la galerie Karsten Greve, il a présenté deux nouveaux meubles : la table Pallas et surtout la chaise Mars. Des formes industrielles qui ne sont pas sans évoquer le travail d’un certain Jean Prouvé. D’ailleurs, Grcic ne s’en cache guère. Déjà, pour l’un de ses premiers projets, la chaise pliante Start, il avait été inspiré par les recherches du maître nancéen, comme d’autres de ses créations ont pu l’être par certaines architectures de Le Corbusier ou par les explorations de géométrie pure d’Eileen Gray.
“J’aime les meubles que chacun peut comprendre aussitôt”, explique Konstantin Grcic. D’où son approche minimale, voire rigoriste, qu’il compare lui-même à l’Arte povera. En clair : le design mis à nu par son designer, même. Les formes sont élémentaires, les matériaux (aggloméré, tôle, acier…) banals. Pour feue la société allemande Authentics, il conçoit toute une série d’objets (seau, poubelle, corbeille à linge, pelle et balayette...), en polypropylène translucide, à l’allure “More than simple...” [Plus que simple...], comme le titre d’une exposition qu’il scénographie en 1996 pour la marque, à Milan toujours. Il n’empêche, ses créations n’oublient pas la dimension de l’étonnement. Les proportions se révèlent parfois inhabituelles, ou la manipulation inattendue. Ainsi en est-il de son bar d’intérieur Pandora, un jeu subtil de métamorphose selon que l’objet est ouvert ou fermé.
Konstantin Grcic voulait devenir menuisier. Aussi s’est-il formé dans l’une des meilleures écoles européennes : la John Makepeace School for Craftsmen in Wood, à Parnham dans le Dorset (Royaume-Uni). Instable comme un mikado, son système d’étagères Es – “ça” en français –, pour l’éditeur allemand Nils Holger Moormann, en a très certainement gardé quelques réminiscences. Mais la légende dit aussi que lors de son apprentissage en menuiserie, il fut frappé, en observant la scie circulaire, par l’énorme potentiel de la machine. Il ira donc se former en design industriel, au Royal College of Art de Londres.
Depuis, Grcic nourrit une passion particulière pour la voiture : “Mieux que n’importe quelle pièce de la maison, une automobile est aujourd’hui le summum de l’espace de rangement. En outre, il y a l’air climatisé, la sécurité, voire pour certaines, une alarme.” L’un de ses modèles préférés : la Lamborghini Marzal V6, dessinée en 1967 par le fameux designer automobile Nuccio Bertone. “Hormis la puissance d’une telle voiture, ce qui me fascine, c’est son architecture”, assure Grcic. Davantage encore que la voiture, il aime la carrosserie, ou apprécie Panamarenko pour ses objets volants qui ne volent jamais. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, ce designer du silence peut même fondre littéralement en écoutant le mugissement d’un moteur de Formule 1. Récemment, pour l’entreprise de jouets Baby Bloom, il a dessiné une trottinette, la Schumini… hommage, sans doute, à “Schumi”, alias Michael Schumacher, le pilote de chez Ferrari.

Consulter  www.konstantin-grcic.com

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°172 du 30 mai 2003, avec le titre suivant : Le Design povera

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