L’Automobile, un style dans le vent

Par Gilles de Bure · Le Journal des Arts

Le 23 novembre 2001 - 870 mots

Le monde de l’automobile n’a pas toujours été indifférent aux modes et aux répertoires de formes imaginés par les décorateurs et architectes.

À l’heure des grands carrossiers et des marques prestigieuses, durant les années 1920 et 1930, certaines marques d’automobiles ont fait preuve d’audace. Face à la relative timidité des constructeurs de la vieille Europe, les Américains se sont ainsi engagés dans une course au décorum qui devait avoir un bel avenir.

L’Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes de 1925, à Paris, fait une large place à la “machine à habiter”, mais n’accorde qu’une place incroyablement congrue à la “machine à rouler”. C’est tout juste si l’on y aperçoit les bien jolies mannequins de Jacques Heim portant des costumes simultanés de Sonia Delaunay, à côté de l’automobile du journaliste Kaplan dont la carrosserie est peinte d’après un tissu de la même Sonia Delaunay.

Au fil de l’”Expo”, on sent bien que Tamara de Lempicka, Otakar Svec ou encore Cassandre ont grande envie de flirter avec la vitesse, mais il ne s’agit encore que de peinture, sculpture et affiche... Pourtant, la même année circule dans Paris une voiture dessinée et décorée par Maurice Dufrêne dans le style, mais pas l’esprit, Art déco ; tandis qu’en feuilletant un tout frais paru numéro de la revue Art et Décoration, on peut admirer un projet de carrosserie signé Jacques-Émile Ruhlmann pour la maison Delaunay-Belleville.

Et c’est tout. Maigre bilan à l’évidence, alors que la Première Guerre mondiale a permis d’accomplir des miracles en matière de progrès mécanique.

L’ère n’est pas encore arrivée du mariage entre la technique qui avance et l’art en train de se faire. D’ailleurs, de l’autre côté de la Manche, la firme Rolls-Royce s’invente un radiateur calandre sur le modèle du Parthénon. Il faut aller jusqu’en Alsace, chez Ettore Bugatti, pour sentir un vague frémissement, dès 1923, avec sa Type 32 qu’il dote de la première carrosserie à “aile épaisse” et aux garde-boue incorporés dans le capot. Outre-Atlantique, on s’agite. Le défi de l’Art déco est pris très au sérieux, et on le relève dans la pierre, dans l’architecture. En 1928, William Van Allen édifie le flamboyant Chrysler Building à New York. Et ce coup d’éclat architectural est annonciateur d’autres éclats, automobiles ceux-là.

En 1931, Wallis, Gilbert & Partners signent la Hoover Factory à Londres et, en 1935, Wurdeman et Beckett élèvent le Pan Pacific Auditorium à Los Angeles. Impossible de ne pas reconnaître l’influence de la première sur la Hupmobile de 1935 et sur la Buick de 1936, ni celle du second sur la Chrysler Royal de 1937 et la La Salle de 1939.

Naissance de la “streamline”
Mais revenons chez Chrysler. En 1934, sous l’influence du designer Norman Bel Geddes, on assiste à un drôle de jeu chez le célèbre constructeur. C’est la naissance de l’air flow : un nez qui s’aplatit et se fond dans le capot ; des phares qui viennent se loger dans la carrosserie entre les ailes incorporées et la grille du radiateur arrondie ; le toit aux rebords courbes qui s’infléchit sur un arrière fuselé avec coffre incorporé en léger ressaut. Bref, ce que les créateurs, les modernistes, les artisans, les mécaniciens du Vieux Continent n’ont pas réussi à entreprendre, les designers et les industriels du Nouveau Monde l’accomplissent, et inventent un style qu’on qualifiera de streamline, mais qui s’avère furieusement Art déco.

Malgré un cuisant échec commercial, l’air flow va faire école. Au même moment, le jeune Edsel Ford attire à Detroit le styliste new-yorkais Raymond Dietrich. Celui-ci va équiper des châssis Cadillac, Duesenberg, Franklin, Lincoln ou Packard de carrosseries aux interminables capots et aux calandres abruptes surmontées de figurines chromées au profil tout aussifuturistes qu’Art déco...

En 1936, Gordon Buehrig livre la Cord 810 à l’ampleur majestueuse, à la ligne surbaissée, aux ailes exubérantes et au museau menaçant. Mais l’année 1937 va être celle de l’apothéose de l’Art déco automobile avec la sortie de la Ford Custom, de la Willys et des Buick et autres Cadillac signées, celles-là, par Harley Earl. Toujours en 1937, l’Italie n’est pas en reste avec la Flying Star, un coupé Alfa Romeo signé Carlo Felice Bianchi Anderloni, et deux châssis de Lancia Aprilia aux carrosseries dues à Giacinto Ghia d’une part, et Battista Pininfarina d’autre part. Lequel Pininfarina avait déjà frappé trois fois avec le coupé de ville Hispano-Suiza de 1932, la Pescara Alfa Romeo de 1935 et la Lancia Astura de 1936.

La France, de son côté, exhibait la Viva Grand Sport de Renault. Bref, 1937 était la grande année, les États-Unis tenaient la corde, talonnés fièrement par l’Italie. Celle-ci, de son côté, allait très vite prendre le virage de la modernité et laisser l’exclusivité Art déco aux Américains qui, eux, poursuivraient dix années encore cette course au décorum, à la volute, au chrome remplaçant l’or et l’argent, avec, entre autres, deux merveilles, la Graham de 1941 et la fameuse Studebaker de 1947 dessinée par le non moins fameux Raymond Loewy.

La France, elle, aura esquivé l’engouement Art déco automobile au profit d’une élégance proche de celle d’un Mallet-Stevens, avec ses Delahaye, Delage, Salmson et autres Talbot. Une élégance en parfaite harmonie avec la tradition britannique et la rigueur germanique des Mercedes et Porsche.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°137 du 23 novembre 2001, avec le titre suivant : L’Automobile, un style dans le vent

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