L’art à la portée de tous

Le marché de l’objet dérivé se repositionne

Le Journal des Arts

Le 8 janvier 1999 - 1179 mots

Alors que le quatrième salon Museum Expression se tient au Carrousel du Louvre du 14 au 16 janvier, le marché des produits dérivés français mûrit, se développe et se diversifie. Ce dossier de quatre pages fait le point, en vous présentant les créations les plus récentes et les nouveaux circuits de vente, ainsi qu’un guide pratique des boutiques.

Les années soixante-dix ont découvert les produits dérivés des musées. Moulages, bijoux, et ce qu’on appelait alors les “cadeaux”, pointaient  le bout du nez sur des comptoirs de fortune. Les idées partaient en tous sens. Et les prix aussi ! Depuis, le réalisme économique a fait trembler les institutions. Même un géant comme la Réunion des musées nationaux (RMN) s’est retrouvé en 1994 avec un déficit de 140 millions de francs, qu’il résorbera fin 1999 seulement. Le but idéal de créer un objet qui permette à tout un chacun de retrouver chez lui un peu de l’atmosphère d’un musée s’accompagne désormais de contraintes marketing indispensables. “Nous ne pouvons plus vendre plus cher parce que ce sont des produits de musée. À nous d’offrir en plus l’historique, la légende, l’emballage”, constate Delphine Caloni, responsable du département des produits dérivés de la RMN. Si l’objet dérivé doit donc tout à la fois mettre l’art à la portée de tous, être le messager de l’institution, faire plaisir et apprendre, il doit surtout générer des ressources complémentaires, étant donné la stagnation ou la baisse des subventions. Aussi, les études de marché commencent-elles seulement à se multiplier. Et la France emboîte très doucement le pas aux pays anglo-saxons, dont la gestion marketing est dirigée non plus par l’offre mais par la demande. Le chiffre d’affaires annuel des boutiques du Metropolitan Museum of Art, à New York, a effectivement de quoi faire quelques envieux avec ses 84 millions de dollars !

Marché explosif, donc, mais à structurer. Et à repositionner. Avec des buts communs à tous : la qualité de la fabrication française, des produits à la fois éternels et à la mode, toujours accompagnés d’une notice historique et explicative. Bien sûr, les reproductions d’objets, moulages et bijoux sont au hit parade des ventes. Avec, pour la RMN, les chats égyptiens ou le pendentif lydien. Le best seller de Paris-Musées, spécialisé dans les arts de la table, demeure le service “Romantique” de George Sand, tandis que la boutique du Musée des arts décoratifs ne jure, dans ses classiques, que par le ravissant “Pont-aux-Choux” du XVIIIe siècle. Les bijoux et objets “dérobés” du Musée d’Orsay ainsi que ceux liés aux grandes expositions connaissent un véritable engouement ! On s’arrache toujours, d’où la pérennisation dans les collections de certains d’entre eux, la broche-pendentif d’après Judith avec la tête d’Holopherne de Lotto, et le collier de perles sorti tout droit du Tricheur à l’as de carreau de La Tour, à seulement 175 francs, vendu à plus de 4 000 exemplaires.

Si le prix moyen des objets vendus approche les 500 francs pour la RMN, la moitié de ceux de la boutique des Arts décoratifs s’échelonnent de 500 à 1 000 francs. Toutefois les gammes de produits dérivés stricto sensu misent sur les petits prix, à partir de 10 francs, pour attirer la clientèle la plus large possible. Papier à lettres, crayons, boîtes d’allumettes, tapis de souris, marque-page se multiplient à tout va. Et les gammes de se renouveler avec des objets pour la maison, torchons, verres, bougies, serviettes en papier, pour une “culture au quotidien” : raffinement dans la dentelle donc pour le Musée provençal du costume et du bijoux, à Grasse, théâtralisation en noir, rouge et blanc pour la boutique de la Comédie-Française, modernité des motifs d’artistes avec Matisse ou Calder chez Flammarion 4... Restent les incontournables textiles, étoles et tee-shirts que l’on ne sait plus à quel peintre vouer ! La création de foulards apparaît surtout réussie lorsqu’elle s’inspire d’artistes contemporains comme Benzaken (RMN), Delaunay (Anne Crespelle Édition), Klein (Flammarion 4) ou Picasso (éditions Basia Embiricos).

Les nouvelles tendances
Si, à l’approche de l’an 2000, certains tâtonnent entre foulard et calendrier pour fêter l’événement, trois tendances se dégagent dans les gammes de produits dérivés, faisant appel tout aussi bien au passé, aux créateurs contemporains qu’aux outils technologiques les plus performants. Nombreux sont ceux qui, dans leur collection, déploient ce que l’on pourrait appeler une gamme sans risques. Ou presque. Naissent des objets inspirés du patrimoine et des collections françaises dont ils transmettent l’image de marque.  Leurs points forts : la qualité des produits et du travail artisanal, les matières nobles et naturelles, très en vogue dans tous les secteurs, et plus précisément un retour vers la porcelaine, le bois, le cuir... Pour Noël 1998, la RMN avait sorti une ligne de bijoux régionaux, et Artcodif a lancé le service dit “de Marseille”. Tradition encore et toujours pour les dernières créations de la Caisse nationale des Monuments historiques et des Sites avec l’incontournable collier “Marie-Antoinette”, tandis que Paris-Musées n’a de cesse d’étendre la gamme des verres et carafes au symbolique motif “Abeille” !

Or, “si les bijoux et les textiles ont pris leur place sur le marché, aujourd’hui c’est au tour du design de se lancer sur les rangs”, explique Joëlle Marty, commissaire du Salon Museum Expression. Mais “le problème des produits dérivés de l’art contemporain apparaît complexe, car ils sont souvent créés “avec” les artistes ou les designers”, constate Jean-Paul Bath, chargé des produits dérivés et multimédia, du Centre Georges-Pompidou, fier de son best seller, le presse-citron de Philippe Starck. L’intervention de créateurs sur des collections de produits dérivés a d’ailleurs connu quelques égratignures car elle s’est révélée beaucoup trop onéreuse. Paris-Musées s’est mordu les doigts d’avoir confié, de 1989 à 1993, l’entière responsabilité de ses collections à des designers, comme “Lieux”, et la RMN a reconsidéré ses “Tables d’Art”, transformées en les “Uniques”, vendues à la boutique Musées et Créations du Carrousel du Louvre. Aujourd’hui, on mise plus prudemment sur l’intervention ponctuelle d’artistes dans la réalisation d’éditions comme dans celle de produits dérivés : Richard Peduzzi pour la verrerie, Robert le Héros et Marie Gouny pour les textiles (Paris-Musées), Marie-Christine Dorner pour la déclinaison des sept départements du Louvre sur tee-shirts et barboteuses (RMN), et encore Olivier Gagnère, Gaetano Pesce ou Jean-Michel Alberola pour de somptueux arts de la table (RMN).

Jeux et multimédia
Mais les grandes nouveautés des années à venir concernent bien entendu les jeux. Aussi bien dans le domaine de l’objet que dans celui des produits multimédias. “Nous allons vers un mélange de ludo-éducatif et de ludo-culturel”, prévoit encore Jean-Paul Bath. Le célèbre personnage de Keith Haring, le “lapin courant” de Pompon, les dominos d’Andy Warhol, les cartes à jouer sur le peintre et son œuvre (Dusserre), ou les livres à colorier devraient à l’avenir se multiplier. Il en va de même pour le multimédia, cédéroms et vidéos. La RMN montre l’exemple avec sa nouvelle collection “Fenêtre sur l’art” et ses excellentes intrigues entre Versailles, les Pyramides et la Cité interdite ! “Nous avons encore tout à faire pour les enfants et leur développement”, conclut le commissaire du Salon Museum Expression. Une immense place à prendre...

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°74 du 8 janvier 1999, avec le titre suivant : L’art à la portée de tous

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