L’affaire des Klimt : la justice des États-Unis saisie

Maria Altmann tente de récupérer des Klimt conservés au Musée de Vienne en s’appuyant sur la législation américaine

Le Journal des Arts

Le 8 mars 2002 - 942 mots

En 1948, Maria Altmann, l’une des héritières
des Bloch-Bauer, famille
de juifs viennois, avait entrepris des procédures juridiques afin de récupérer des tableaux de Klimt pillés par les nazis et conservés
à l’Österreichische Galerie
à Vienne (lire le JdA n° 72, 4 décembre 1998). Devant l’impasse des lois autrichiennes, un recours avait été porté en 2000 devant les tribunaux américains. L’Autriche
tente désormais de s’opposer à cette démarche et s’indigne de l’affront que constituent les décisions de justice américaines.

Los Angeles (de notre correspondante) - Mort dans la misère après la guerre, Ferdinand Bloch-Bauer, juif autrichien autrefois prospère, avait possédé une importante collection de peintures et de porcelaines, dont les nazis se sont emparés. Quelques-uns de ces tableaux sont aujourd’hui exposés à la Galerie nationale autrichienne (Österreichische Galerie, OG). Nièce et héritière de Ferdinand Bloch-Bauer, Maria Altmann, désormais âgée de quatre-vingt-cinq ans et vivant aux États-Unis, a porté l’affaire devant un tribunal fédéral de première instance à Los Angeles en mai 2000. Elle avait obtenu l’autorisation de poursuivre l’Autriche, depuis l’État de Californie, pour la restitution de six Klimt appartenant à la collection de l’OG, conformément à une clause exceptionnelle de la Foreign Sovereign Immunities Act (loi sur les immunités souveraines étrangères, FSIA).
Cette loi, promulguée en 1976, protège les États étrangers contre des poursuites judiciaires aux États-Unis, tout en définissant plusieurs exceptions.

Plainte irrecevable
Or, l’affaire Altmann réunissait les conditions d’exception permettant “l’expropriation”, puisqu’on pouvait établir sans équivoque que les Klimt avaient été confisqués en violation du droit international – et ce, à deux reprises : une première fois dans le cadre de “l’aryanisation”, puis, une seconde fois, lorsque l’Autriche elle-même a exigé que la famille fasse don des tableaux à l’État après la guerre, en échange d’un permis d’exportation pour les œuvres restantes de la collection de Ferdinand.
L’Autriche avance que la plainte est irrecevable car une telle affaire ne peut être l’objet de poursuites aux États-Unis en raison de l’immunité dont elle jouit par sa souveraineté, et la clause qui pourrait permettre une exception à cette immunité ne s’applique pas aux événements antérieurs à 1952.
De plus, les six tableaux de Gustav Klimt sont jugés d’une “valeur culturelle inestimable” pour le pays et le peuple autrichiens. Cependant, la loi FSIA et ses clauses d’exception ne peuvent en aucun cas s’appliquer à cette affaire car tous les événements en cause ont eu lieu avant qu’elle n’entre en vigueur. Selon l’Autriche, appliquer la clause d’exception “remettrait en cause tout ce qui semblait acquis concernant les événements antérieurs à 1952”, puisque les nations comprendraient ainsi qu’elles ne sont pas protégées contre un procès intenté aux États-Unis. En outre, l’Autriche rappelle que l’OG ne serait pas attaquable puisqu’elle ne pratique pas une “activité commerciale” aux États-Unis, ce que requiert la clause d’exception pour l’expropriation.

Bulletin d’information culturelle
Selon Maria Altmann, l’OG pratique bel et bien une activité commerciale de ce genre, comme en témoigne la publication aux États-Unis d’un livre édité en association avec Yale University Press, Klimt’s Women, qui reproduit trois des Klimt pillés par les nazis.
De même, un guide en anglais édité et publié par l’OG, en vente aux États-Unis, présente en couverture l’un des Klimt litigieux figurant Adele, la femme de Ferdinand. Et l’OG fait la publicité de ses expositions aux États-Unis. Maria Altmann ajoute que l’OG “perçoit des revenus aux États-Unis grâce à sa détention illégale des tableaux réclamés dans le cadre de ce procès”. L’Autriche a répondu que les livres ont été publiés par des tiers, les “prétendues publicités” par l’ambassade d’Autriche et que celles-ci peuvent être assimilées à un bulletin d’information annonçant les “événements
culturels en Autriche”.
Pour la détention illégale de tableaux appartenant à un résident américain, le pays et sa galerie nationale peuvent donc “raisonnablement s’attendre à être traduits devant les tribunaux”. À cela, l’Autriche répond que les tableaux, les faits et les témoins sont tous sur le territoire autrichien et dépendent, de ce fait, des “lois autrichiennes sur l’homologation, la succession, la propriété, la restitution, le contrat et la dissimulation de preuves”, rendant ainsi la Californie incompétente pour un tel procès.

Un “affront” à la législation autrichienne
Le tribunal de première instance a estimé que les Autrichiens ne pourraient pas offrir à Maria Altmann un terrain de dialogue approprié. Pour l’Autriche, il s’agit d’“un affront” porté à son système juridique. La juridiction de première instance a conclu, à tort, “que sa position lui permettait, plus qu’aux tribunaux autrichiens” d’apprécier les informations réunies par une Commission autrichienne pour la restitution d’œuvres d’art pillées durant l’Holocauste et de faire appliquer la loi autrichienne dans une affaire concernant la propriété de biens “situés en Autriche et impliquant des documents et des témoins autrichiens”.
Maria Altmann avait tout d’abord porté plainte en Autriche auprès de la Commission pour la restitution des œuvres d’art, puis auprès des tribunaux autrichiens, mais a, par la suite, renoncé à sa plainte en territoire autrichien. Or, n’ayant pas épuisé tous les recours légaux possibles en Autriche, elle ne peut en aucun cas faire valoir à son avantage la clause d’exception pour l’expropriation.
De plus, l’Autriche réclame également 2 millions de dollars de frais de procès et se réserve le droit de déclarer l’action prescrite. L’Autriche soutient que l’épouse de Ferdinand, Adele Bloch-Bauer, lui a légué les Klimt à sa mort en 1925, et que l’avocat de la famille Altmann aurait reconnu par écrit en 1948 que le pays était propriétaire des tableaux. Le testament d’Adele stipule : “Je demande à mon époux de bien vouloir léguer, après sa mort, mes deux portraits et les quatre paysages de Gustav Klimt à la Galerie nationale autrichienne de Vienne”. Cependant, le testament de Ferdinand n’aborde pas la question.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°144 du 8 mars 2002, avec le titre suivant : L’affaire des Klimt : la justice des États-Unis saisie

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