L’actualité vue par Steve Rosenblum, collectionneur

« Nous n’avons pas de frein au partage »

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 26 avril 2011 - 1525 mots

Le collectionneur d'art contemporain Steve Rosenblum a ouvert un espace dans le 13e arrondissement de Paris.

Cofondateur du site d’e-commerce pixmania.com, Steve Rosenblum collectionne depuis quelques années l’art contemporain. Au moment de la dernière FIAC, à Paris, il a ouvert un lieu dans le 13e arrondissement de la capitale, Rosemblum Collection & Friends (1), où il expose un choix de ces œuvres. Steve Rosemblum commente l’actualité.

JDA : Vous avez ouvert un lieu en octobre 2010. Quel est le public qui vient découvrir votre collection ?
Steve Rosenblum : Nous avons dépassé les 4 000 visiteurs, ce qui est beaucoup pour un espace qui n’est ouvert que le samedi. Nous totalisons aussi 30 000 visiteurs uniques sur notre site Internet. Nous accueillons beaucoup de trustees de musées américains, d’associations d’amis de musées. Quelques sociétés ont aussi organisé des visites pour leurs salariés. Nous touchons également de grands collectionneurs, comme Martin Margulies. Enfin, nous avons aussi accueilli des classes d’enfants de 6 à 8 ans.

Le 13e arr. a perdu nombre de galeries. Comment voyez-vous l’évolution du quartier ?
S.R. : Les gens viennent spécialement nous voir. Il n’y a pas assez d’enseignes ni de commerçants dans ce quartier pour qu’un public décide d’y passer l’après-midi. Nous ouvrons aussi la collection les soirs de vernissage des galeries voisines. La Bibliothèque nationale de France se trouve non loin et attire du monde. La rénovation du quartier va peut-être le faire rebondir, mais pas avant cinq à sept ans.

Avez-vous prévu de changer régulièrement l’accrochage de votre espace ?
S.R. : Nous allons décrocher fin juin et nous rouvrirons entre mi-septembre et mi-octobre. Nous présenterons, en deux parties, une scène émergente très internationale inspirée de l’abstraction. Nous allons passer des commandes à Aaron Curry, et à Andrew Dadson [basé à Vancouver] que la galerie Franco Noero [de Turin] avait montré à la dernière FIAC. Nous avons aussi pris contact avec Jacob Kassay. Il y aura encore Gregor Hildebrandt, Matthias Bitzer, Amanda Ross-Ho ou Sterling Ruby. Parmi les Californiens, nous avons choisi Nathan Hylden et Heather Cook qui partagent le même atelier.

Dans la première exposition, vous présentiez un artiste français. Et dans celle-ci ?
S.R. : Nous exposerons Antoine Aguilar et peut-être aussi Loris Gréaud. Nous ne sommes pas encore très proches de la scène française. Nous avons commencé à collectionner beaucoup d’artistes de Los Angeles, et nous en découvrons de plus en plus en tirant sur le même fil. Nous n’avons pas eu de point d’accroche avec la scène française par manque d’expositions de groupes dédiées à celle-ci. Ce type d’expositions nous aident beaucoup. Les galeries n’aiment pas en organiser parce qu’elles sont moins intéressantes commercialement. Pourtant, derrière chaque group show, il y a un commissaire qui amène un propos structuré. Pour moi, c’est un mode de découverte et d’éducation. Aux États-Unis, de nombreuses expositions de groupe sont ainsi organisées.

Comment expliquez-vous que les collectionneurs de votre génération ouvrent des lieux ?
S.R. : C’est la génération Internet, plus transparente, plus ouverte, plus rapide. Il y a moins un côté « vie privée ». La notion de partage est importante sur le web. Sur les sites marchands se trouvent des avis de consommateurs ; les gens disent ce qu’ils pensent. De même, sur Facebook, Twitter, Flicker… La notion de partage du réseau Internet a une influence sur notre culture. Nous n’avons pas de frein au partage. La société a évolué comme cela. Ce n’est pas nécessairement conscient. Nous, en travaillant sur Internet, nous avons une vraie démarche intellectuelle et commerciale. Sur le web, on essaye de tirer profit du réseau avec la viralité. Même les gens qui ne travaillent pas dans l’Internet sont touchés.

Les initiatives comme la vôtre ou celle de la « Maison particulière » à Bruxelles pourraient-elles se développer en France ?
S.R. : À Bruxelles, l’immobilier n’est pas très cher, et on peut acheter ou louer des espaces à des prix accessibles. À Paris, c’est plus compliqué. Nous avons la chance d’être dans le 13e arrondissement, dans un bâtiment que mes parents louaient depuis 1981 à la Ville de Paris. Occuper un espace similaire de 1 000 m2 dans le Marais [4e arr.] ne serait absolument pas possible. Le côté économique entre en jeu. Je ne sais donc pas si ce type d’initiatives pourrait se développer à Paris. Cela pourrait se faire à Berlin, où les espaces sont moins onéreux.

Et en banlieue ?
S.R. : Oui, ce serait possible. Le tout est de voir si les gens se déplaceraient ou pas. Même s’il faut traverser toute la ville pour aller dans le 13e, on est quand même à Paris. Le risque, en s’installant à vingt kilomètres, serait une évaporation du public.

Des initiatives se développent toutefois en province. Édouard Carmignac songe à un lieu dans le Midi. La Fondation Magrez ouvre près de Bordeaux. La province serait-elle une solution ?
S.R. : Ce qui est important, c’est de montrer et soutenir les artistes. Aaron Curry, par exemple, va exposer au Magasin de Grenoble. Je n’y suis jamais allé, mais je trouve cela formidable. Quand on est à Paris, il faut admettre qu’on ne bouge pas. Est-ce que, dans l’autre sens, il est plus simple de monter à Paris le week-end ? En tout cas, ce serait bien d’irriguer la France avec de tels lieux.

Beaucoup de produits que vous vendez sur pixmania.com sont fabriqués en Chine. Est-ce que vous regardez aussi tout particulièrement cette scène ?
S.R. : J’ai commencé à la regarder il y a deux ans, mais je ne suis pas sûr d’avoir bien compris. Nous avons convenu, ma femme et moi, d’y passer dix à quinze jours. Les collectionneurs Sylvain Levy et Hervé Lancelin m’ont proposé de me montrer des ateliers d’artistes. J’ai vraiment envie de passer par les ateliers pour comprendre comment fonctionnent les choses. Quand on voit qu’Ai Weiwei [lire le JdA no 345, 15 avril 2011] est emprisonné, cela montre bien que quelque chose se passe en ce moment, peut-être plus qu’il y a deux ans. Mais j’adore l’Asie et je dois comprendre avant d’acheter. Si nous sommes plus à l’aise avec la scène de Los Angeles, c’est qu’un artiste nous en a présenté un autre, puis un troisième, et nous avons compris ce qui se passait. Nous avons alors pris confiance. Par exemple, nous avons, dans notre collection, deux ou trois artistes de Los Angeles qui viennent originellement de Chicago. Nous nous sommes dit qu’il serait bon d’y aller, car la scène y semble intéressante.

Envisagez-vous d’aller à la foire de Hongkong ?
S.R. : Non, nous avons un programme chargé et conformiste, avec Bruxelles, Venise et Bâle, avant de redémarrer sur Frieze et la FIAC.

Le fait d’être sorti du bois a-t-il changé votre manière de collectionner ? Êtes-vous plus courtisé qu’avant ?
S.R. : Nous recevons beaucoup plus de sollicitations, de catalogues ou d’invitations. Malheureusement, nous n’avons pas le temps de tout traiter. Ce qui a changé avec le lieu, c’est que nous pouvons désormais discuter avec les artistes et leur passer des commandes.

Votre rencontre avec les artistes semble occuper une place importante puisqu’elle revient en boucle dans vos propos.
S.R. : C’est important, mais ce n’est pas toujours nécessaire. Par exemple, nous avons vu, à Miami, le travail de Tamar Halpern dont nous avons acheté plusieurs œuvres. Nous ne la connaissons pas, mais je suis sûr que nous allons la rencontrer. Quand les artistes sont de notre génération, c’est important de les rencontrer.

Est-ce également important d’acheter des artistes de votre génération ?
S.R. : Oui, car une œuvre d’art est un marqueur de son époque. Avoir quelque chose qui aurait marqué une période passée, par exemple le pop art, n’a pas de sens. Nous n’avons pas vécu les années 1960, et nous avons sur cette époque le regard de 2011. La bouteille de Coca-Cola ou une Campbell Soup étaient alors subversives, elles marquaient une avancée dans l’art. Mais ma génération est depuis trente ans dans la société de consommation. Il y a toutefois des artistes qui ne sont pas de mon âge et dont je rêve d’acheter une œuvre, comme Joseph Kosuth. Il est malheureusement trop cher et je peux acheter cinq artistes émergents pour la même somme ! J’adorerais malgré tout avoir une de ses Proto-investigations. L’art conceptuel est très important dans ma façon de collectionner. Après, il y a des artistes intemporels comme Mark Rothko ou Claude Rutault, dont nous avons acheté récemment une pièce liée à Mondrian.

Quelles expositions récentes vous ont marqué ?
S.R. : J’ai beaucoup aimé celle de Richard Prince à la Bibliothèque nationale de France. J’étais très agréablement surpris, malgré les répétitions. J’ai vraiment adoré l’exposition « Mondrian » au Centre Pompidou. Nous avons aussi vu la collection de François Pinault à la Pointe de la douane [à Venise]. J’aime le côté éclectique, le mélange d’artistes. J’ai découvert des pièces marquantes de Kienholz, Roni Horn, Chen Zhen et d’autres déjà vues, comme les gisants de Maurizio Cattelan. Il y a aussi des artistes avec lesquels je n’accroche pas comme Jeff Koons ou Sigmar Polke. Mais il présente trois belles pièces de Thomas Houseago que nous collectionnons et adorons.

(1) Renseignements sur le site Internet rosenblumcollection.fr

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°346 du 29 avril 2011, avec le titre suivant : L’actualité vue par Steve Rosenblum, collectionneur

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