L’actualité vue par Neil MacGregor

Directeur de la National Gallery de Londres

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 27 février 1998 - 863 mots

Directeur de la National Gallery de Londres depuis 1987, Neil MacGregor a révolutionné le parcours du musée en abandonnant le traditionnel accrochage des œuvres par écoles nationales pour une présentation chronologique montrant qu’à chaque moment de l’histoire existe une peinture européenne. Il a organisé l’extension de l’institution avec l’ouverture de la Sainsbury Wing en 1991. Bien qu’il soit parfaitement heureux à la tête de la National Gallery, des rumeurs le voient prendre la direction des Musées de Berlin. Il commente l’actualité.

Comment le directeur de la National Gallery voit-il la donation Lemme au Louvre ?
Avec convoitise ! Je relève qu’elle résulte de la générosité d’un collectionneur étranger, ce qui est admirable et se produit heureusement dans presque tous les grands musées du monde. L’art dépasse les frontières. En même temps, cette donation montre la grande différence qui sépare nos institutions. Si le Stanzione, le Trevisani sont des chefs-d’œuvre absolus, l’ensemble a essentiellement pour but de compléter les collections du Louvre, qui a une vocation encyclopédique, une mission d’érudition en représentant toutes les écoles. Celle de la National Gallery est très différente. La collection, plus concentrée, est destinée surtout au public et au plaisir visuel. Les trustees veulent que tout soit exposé.

L’exposition sur le nu dans la photographie et la peinture à la Bibliothèque nationale de France a suscité un très grand intérêt. L’étude de ces relations a-t-elle déjà fait l’objet d’une manifestation semblable dans votre pays ?
Non, ce type d’exposition n’a pas été fait en Angleterre, sans doute à cause d’un manque de collaboration entre les musées. Cette exposition brillante prouve à quel point les relations entre photographie et peinture au XIXe siècle étaient étroites et novatrices. Elle montre comment le médium a modifié la formation traditionnelle des écoles des beaux-arts. Nous avons commencé à explorer ces relations avec Degas, mais l’initiative de la BnF trace une nouvelle direction pour les expositions consacrées au XIXe siècle. C’est une idée qu’on espère vous voler, car, en outre, ces relations intéressent beaucoup le public aujourd’hui !

Comment voyez-vous le nouveau bâtiment de la BnF à la lumière de celui de la British Library à St Pancras ?
La différence est très évidente. Tolbiac est grandiose, mais d’accès malheureusement difficile, c’est un peu le Versailles de l’esprit. St Pancras c’est le “home” anglais, peut-être un peu vieillot, mais à une échelle beaucoup plus humaine. La “BnF” est un monument, la British Library un outil de travail. Reste à savoir comment les deux lieux vont fonctionner pour le lecteur.

Une exposition à la Royal Academy rassemble les chefs-d’œuvre des musées régionaux, tout en tirant la sonnette d’alarme sur la pauvreté de leurs moyens de fonctionnement. L’argent de la Loterie n’est donc pas une solution miracle ?
La Loterie est effectivement une solution miracle pour la rénovation des bâtiments et les acquisitions. En trois ans, elle a radicalement changé la situation. Mais la question du fonctionnement des grands musées gérés par les collectivités locales se pose de manière aiguë, car ni les subventions gouvernementales ni l’argent de la Loterie ne peuvent intervenir. Nous risquons de nous trouver dans la situation absurde où de nouveaux musées ou des bâtiments rénovés ne pourraient fonctionner. Il faut repenser complètement la gestion de ces musées. La solution ne peut pas venir uniquement de la Loterie ; il faut suivre le modèle français et envisager un partenariat entre villes, régions et gouvernement central. C’est le plus grand défi dans le domaine des musées que doit relever Chris Smith.

Que pensez-vous de “Visions du Nord” au Musée d’art moderne de la Ville de Paris ?
Les commissaires, ayant refusé la solution facile du panorama, ont eu le courage de choisir quatre grands artistes et de les montrer en profondeur. Gallen-Kallela et Schjerfbeck ont été pour moi une révélation. J’adore ce genre d’exposition. J’ai été frappé par l’intérêt du public, qui consacre beaucoup de temps à regarder les œuvres. La générosité de l’accrochage y est pour beaucoup ; elle favorise un vrai dialogue avec les œuvres.

Vous participez à la réunion des organisateurs d’expositions, fin février à Prague. Quel en est l’ordre du jour ?
Le “choc Schiele” de l’exposition au MoMA nous conduit à discuter du problème des saisies judiciaires. Nous devons aussi étudier la réalisation d’un programme multimédia commun aux grands musées européens, peut-être dans le cadre d’une initiative de la Communauté européenne, et ainsi organiser l’accès au multimédia des collections publiques. Nous devons également évoquer des questions plus techniques concernant l’assurance des œuvres. Celles-ci peuvent sembler plus terre à terre, mais elles sont fondamentales pour notre travail, et ces réunions permettent de les résoudre. C’est à l’honneur d’une Française, Irène Bizot (ndlr : administrateur de la Réunion des musées nationaux), de les avoir créées. Mais ce groupe fonctionne “à l’anglaise”, sans constitution écrite, sans structure ; tout se fait par coutume. On se réunit tous les neufs mois, une fois entre Européens, l’autre avec nos collègues américains. Un des grands succès du “groupe Bizot” a été d’obtenir une modification de la loi italienne interdisant les prêts à l’étranger pour une durée dépassant six mois. Elle rendait impossible l’organisation d’expositions circulant dans plusieurs villes. Un petit changement qui profitera à un vaste public.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°55 du 27 février 1998, avec le titre suivant : L’actualité vue par Neil MacGregor

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