L’actualité vue par Baudoin Lebon, Galeriste

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 10 octobre 1997 - 879 mots

Facétieux, Baudoin Lebon a inauguré sa première galerie parisienne en 1976 avec Ben et une exposition intitulée \"Encore une galerie de plus\"… Installé aujourd’hui rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie, il présente des monstres sacrés tels que Dubuffet ou Michaux, des artistes renommés comme Joël Kermarrec, Luciano Castelli, des jeunes comme Nathalie Grenier, ainsi que des photographes tels Robert Mapplethorpe, Keiichi Tahara, Lynn Davis et Joel Peter Witkin, sa prochaine exposition. Il commente l’actualité.

Vos premières impressions de la Fiac ?
Elles sont bonnes. Dès l’après-midi professionnel, il y avait beaucoup plus de monde que les années précédentes et, comme le soir du vernissage, j’ai senti que les visiteurs regardaient les œuvres avec beaucoup plus d’intérêt, s’informaient des prix avec le désir d’acheter. J’ai l’impression qu’à nouveau, les amateurs achètent par plaisir. Tous les stands m’ont paru aussi d’une très bonne tenue, alors qu’il y avait, l’an dernier et il y a deux ans, des contrastes entre quelques-uns très mauvais et d’autres excellents. L’ensemble est tiré vers le haut. J’ai remarqué également le retour d’installations – assez fortes – dans la section Jeunes galeries.

En novembre aura lieu la première foire exclusivement consacrée à la photographie. Vous y participerez.
Paradoxalement, j’ai toujours été contre le fait de traiter la photographie à part. C’est un médium comme un autre que, dans mes activités depuis vingt ans, j’ai toujours défendu au même titre que le dessin, la peinture, la sculpture ou les installations. Pendant des années, la photo a été écartée de la Fiac. Elle y a aujourd’hui droit de cité, notamment à travers la photographie dite “plasticienne”. Il y a eu plusieurs tentatives de foires. J’ai toujours pensé qu’une telle manifestation ne pouvait réussir que si des galeries américaines venaient, ce qui est le cas avec “Paris Photo”. Mais c’est évidemment un pari.

Jeffrey Deitch vient de céder 49 % de sa galerie new-yorkaise à Sotheby’s et va diriger la galerie Emmerich rachetée l’an dernier par le même auctioneer. L’”affaire Emmerich” avait suscité un tollé chez certains marchands, accusant  Sotheby’s d’hégémonie.
Le phénomène inverse s’est produit dans les années passées. Des collaborateurs de Sotheby’s ou Christie’s sont partis pour devenir experts indépendants, marchands ou ouvrir des galeries. Pourquoi ce qui est admis dans un sens serait-il critiquable dans l’autre ? Les métiers de marchand et de commissaire-priseur sont complémentaires et si une collaboration entre les deux professions n’est pas mauvaise, les deux doivent être clairement exercées.

Vous avez vu la rétrospective Prud’hon.
Je me suis promené avec délice dans le Grand Palais qui – heureusement pour moi  – était peu fréquenté. Il est vrai que Prud’hon est moins connu que La Tour et que ses premiers portraits sont répétitifs. C’est pourtant un dessinateur remarquable. Il y a un velouté de lumière extraordinaire, en particulier dans ses dessins au crayon noir et blanc sur papier bleu. Certains tableaux de la fin de sa vie sont étonnants, et cette rétrospective me conduit à penser qu’il a dû influencer Ingres ; on retrouve cette même touche très détaillée et cette volonté d’être au plus près de la réalité. L’intérêt d’une rétrospective est, notamment, de modifier le regard que l’on porte sur un artiste. Ainsi, je tiens à saluer celle que le Centre Pompidou vient de consacrer à Léger. Elle était très bien structurée, montrait avec beaucoup d’intelligence les différentes périodes de l’artiste et la sélection des œuvres était remarquable. Je gardais le souvenir de la précédente rétrospective au Grand Palais qui, plutôt confuse, m’avait laissé dubitatif sur l’importance de Léger.

Qu’avez-vous pensé de l’installation de Kawamata dans la Chapelle de la Salpêtrière, dans le cadre du Festival d’Automne ?
Kawamata est plus connu pour ses installations avec des planches ou des branches d’arbres. Celle-ci a été réalisée à partir du mobilier de la chapelle. Elle a la forme d’une immense hutte avec deux entrées, ou deux sorties. Elle est extraordinaire et marque une évolution très forte de l’artiste. Il faut aller la voir.

Catherine Trautmann vient de présenter son premier budget.
Il est bien sûr important que ce budget soit pour la première fois depuis quatre ans en progression. Il faudrait qu’il atteigne le “1 %” symbolique des dépenses de l’État. Je souhaite qu’il y ait davantage d’incitations pour les collectionneurs. Il est évidemment indispensable que les œuvres d’art restent exclues de la base d’imposition de l’impôt sur la fortune, mais des incitations fiscales à l’achat devraient être mises en place. La loi sur le mécénat doit aussi être toilettée ; elle est tellement complexe que les entreprises préfèrent soutenir une exposition, un ballet ou un concert plutôt que d’acquérir des œuvres d’art. C’est la grande bataille entre la rue de Valois et Bercy. Il faut espérer que Catherine Trautmann et Dominique Strauss-Kahn, qui est un homme de culture, pourront convaincre les hauts fonctionnaires.

Un mot sur le sondage qui révèle l’ignorance des Français en matière d’architecture (lire page 3).
Qui connaît le nom de l’architecte de Versailles, de Schönbrunn, de la Porte de Brandebourg ? C’est le problème de l’insuffisance de l’enseignement de l’histoire de l’art dans les lycées. Par ailleurs, l’architecture n’a jamais vraiment intéressé l’élite bourgeoise française, tout comme l’art contemporain, resté longtemps l’apanage “d’huluberlus”. Il a fallu attendre François Mitterrand et Jack Lang pour que la culture contemporaine fasse davantage partie du quotidien.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°45 du 10 octobre 1997, avec le titre suivant : L’actualité vue par Baudoin Lebon, Galeriste

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