La visite de l’hippopotame

Par Adrien Goetz · L'ŒIL

Le 1 octobre 2003 - 506 mots

Une idée simple pour renouveler les programmes pédagogiques des musées.

Modérons les bonnes initiatives de l’Éducation nationale ! Interrogez les enfants autour de vous. Les après-midi du mercredi au musée sont souvent perçus, par les plus petits, comme des punitions absolues. Du côté des musées, les services pédagogiques ne sont jamais en reste d’ingéniosité : un enfer pavé de bonnes intentions. Des enseignants heureux, en situation de détachement, mus par les plus louables intentions pédagogiques, inventent des supplices qui rivalisent de cruauté avec ceux de leurs collègues qui enseignent. Pour se faire pardonner sans doute, par ceux-ci, d’avoir la réputation de moins souffrir.
Avec les programmes pour enfants proposés par le pavillon des Sessions (sculptures d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et des Amériques), le collier de nouilles est récemment entré au Louvre. Les chers petits fabriquent des bijoux Nok en pâte à sel, découpent des fétiches en carton et sont priés de trembler devant Quetzacoalt et le dieu Gou. Est-ce pour cela qu’ils aimeront les musées ? Qu’auront-ils appris ? La tolérance et le respect des autres cultures ? Espérons-le de tout cœur. Mais auront-ils appris l’amour de l’art, l’histoire des formes, auront-ils l’envie d’aller au Louvre seuls, les autres jours, d’eux-mêmes ? Quand y reviendront-ils ? Plus tard sans doute, si l’on en croit nos confrères du Nouvel Observateur qui classaient dernièrement le Louvre dans la liste des meilleurs lieux branchés pour la drague à Paris, avec ses nocturnes du lundi (attention, circuit court) et du mercredi. Cela ne règle pas la question du musée et des enfants, puisqu’il est bien connu que tout se joue avant quatre ans.
L’idée serait d’inverser le processus, de faire venir les œuvres dans les classes. Utopie ? Pas forcément. Imaginez un hippopotame bleu de la vallée du Nil, comme les réserves du Louvre semblent en posséder nombre d’exemplaires, ou une de ces figurines Chaouabtis, jamais toutes montrées ensemble, qu’une exposition, voici quelques mois, permettait de découvrir (voir L’Œil n° 547). Imaginez l’impact de cet hippopotame, apporté en classe, dans une école primaire du XIe arrondissement. La mairie aura envoyé un policier, pour solenniser l’événement et assurer la garde du trésor, le Louvre aura délégué un conservateur, ou un élève de l’Institut national du patrimoine en stage, qui parlera de l’Égypte, expliquera l’œuvre et offrira des entrées pour les élèves et leurs familles à utiliser dans le mois. Cela ne ruinera personne, ne mettra pas plus les œuvres en danger qu’un prêt à une exposition – et ce sera justement l’inverse de ces expositions où déambulent des groupes scolaires en déroute. C’est l’œuvre qui viendra vers l’enfant. Et ensuite, l’envie d’aller au musée, tout seul, hors du groupe et sans contrainte. Gageons que l’élu qui osera, dans sa ville, mettre en place ce type de politique, verra se modifier la fréquentation de son musée, rajeunir les rangs de son auditorium, et que l’histoire de l’art en France, grâce à la visite de l’hippopotame, gagnera peu à peu la place qu’elle devrait avoir depuis de longues années déjà dans les programmes d’enseignement.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°551 du 1 octobre 2003, avec le titre suivant : La visite de l’hippopotame

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