La tête et les jambes

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 7 octobre 2005 - 1047 mots

Le marché de l’art contemporain en France repose-t-il encore sur des ressorts publics, au détriment d’un soutien privé ? Esquisses de réponse.

La tête d’un artiste français, c’est l’Association française d’action artistique [AFAA], son bras, la direction régionale des Affaires culturelles [DRAC] et son corps, la délégation aux Arts plastiques [DAP]. » Telle est l’observation d’un artiste étranger quant au paysage français. Cette vision d’un art sous dialyse institutionnelle est-elle toujours d’actualité ? Il est difficile d’apporter une réponse ferme à cette question, faute d’indicateurs fiables et d’études sérieuses, lesquelles seraient pourtant urgentes pour faire avancer les débats. La difficulté tient aussi au fait qu’on ne peut englober l’ensemble des artistes sous un même parapluie. Il n’existe d’ailleurs pas en France de communauté d’artistes, encore moins de scène que l’on puisse étiqueter sous des labels marketing, comme les Young British Artists ou les peintres allemands.
Même si les dotations publiques semblent détenir la part du lion dans le financement de l’art en France, cette manne stagne depuis plusieurs années. Le Fonds national d’art contemporain (FNAC) affiche depuis trois ans un budget d’acquisition pour les arts plastiques d’environ 3 millions d’euros. L’ensemble des Fonds régionaux d’art contemporain (FRAC) débourse annuellement autour de 4 millions d’euros. Les crédits du Musée national d’art moderne (MNAM) à Paris font aussi du surplace, avec 4,3 millions d’euros pour 2005 (hors intervention du Fonds du patrimoine), chiffre ventilé entre l’art moderne et le contemporain. Un budget bien élevé à l’aune des 1,5 million de livres sterling (2,3 millions d’euros) de budget d’acquisition de la Tate à Londres, mais dérisoire face aux 10 millions d’euros du Musée national Reina Sofía de Madrid (lire p. 7). Derrière le bréviaire des crédits publics dont le potentiel se tasse, voire se tarit, il est impossible de jauger l’implication financière des collectionneurs privés. En réponse à un questionnaire adressé par le Comité professionnel des galeries d’art (CPGA) à dix galeries de profil différent (1), il semblerait que la part des acquisitions de l’État auprès de ces dernières oscille entre 10 et 20 %, avec des pointes à 30 et 35 % pour certaines enseignes. Le résultat est certes approximatif, et il serait hasardeux de tirer un bilan à partir d’une dizaine de cas. Cependant, un lent mouvement de fond semble sourdre, d’autant plus que, d’après certains marchands, la proportion de clients privés s’est étoffée en province. La quote-part des particuliers, qu’ils soient français ou étrangers, ne pourra toutefois progresser que si les galeries commencent à fonctionner comme des entreprises, en étant suffisamment professionnelles pour produire et imposer leurs choix à l’étranger. Car un marché ne se constitue pas à coups de passions, de bons sentiments et encore moins de bricolage...
Quid des ventes publiques ? En détenant au premier semestre 2005 seulement 2,7 % de parts de marché en valeur sur le segment contemporain, face aux 35,3 % de la Grande-Bretagne et aux 51,1 % des États-Unis (source Artprice), la France fait figure de nain à l’échelon mondial. Mais le volume des lots échangés est sensiblement proche de celui de la place britannique. La différence réside dans la valeur des œuvres. Ce problème est partiellement lié à l’éparpillement de la marchandise entre une multitude d’acteurs, alors qu’en Angleterre ou aux États-Unis, deux ou trois maisons organisent le marché. Malgré ce postulat, l’art contemporain représente une part croissante du chiffre d’affaires des maisons de ventes parisiennes. La SVV Cornette de Saint Cyr affichait l’an dernier un bilan pour l’art contemporain de 8,9 millions d’euros, sensiblement stable depuis deux ans, tandis que Tajan passait de 1,9 million d’euros en 2003 à 4,9 millions au seul premier semestre 2005. Chez Artcurial, ce segment a engrangé en 2004 un produit de 10,5 millions d’euros, soit le double des résultats observés en 2002. Les institutions faisant rarement leur marché contemporain en ventes publiques, ce chiffre repose donc pour une bonne part sur les collectionneurs privés (ou les marchands). Mais qui dit « privé » ne dit pas forcément « français ». Au premier semestre 2005, 70 % des acheteurs dans les ventes d’art contemporain d’Artcurial s’avèrent étrangers.

Relations asymétriques
Reste enfin à voir si l’apport aussi bien privé qu’institutionnel profite aux artistes hexagonaux. Lors de la rentrée parisienne des galeries, seule une poignée d’enseignes affichaient des artistes français. Sans doute par manque de collectionneurs « nationalistes ». D’après un sondage effectué par l’Association pour la diffusion internationale de l’art français (Adiaf) auprès de sa centaine de membres, ces derniers consacrent pourtant plus de la moitié de leur budget à l’acquisition d’œuvres d’artistes résidant en France. Mais encore évoque-t-on là de petits et moyens acheteurs. Du côté public, le Centre Pompidou a dédié en 2004 46,3 % de son budget à l’achat d’œuvres d’artistes français, mais cette donnée couvre à la fois le moderne et le contemporain. Les Français représentent environ 75 % du budget d’acquisition du FNAC et, entre 2001 et 2003, 54,4 % de celui de l’ensemble des FRAC. Toutefois, le palmarès des artistes français les plus achetés, d’un point de vue numéraire, peut laisser perplexe. De 1998 à 2002, Marc Pataut, Paul-Armand Gette et Alain Séchas représentent le tiercé gagnant du FNAC en volume d’achats. Dans les FRAC, sur la même période, le classement fait la part belle à Christian Lhopital, Gilles Mahé et François Bouillon. Des noms dont l’aura internationale reste à prouver ! Les institutions ne sont d’ailleurs que faiblement prescriptrices de la cause hexagonale à l’étranger. Les expositions des collections des FRAC au K21 Kunstsammlung Nordrhein-Westfalen de Düsseldorf et au Musée Ludwig de Cologne, du 15 octobre au 12 février 2006, ont failli faire l’impasse sur les artistes français. Le premier choix opéré par les commissaires allemands s’était concentré sur l’idée de collection et non sur celle de nationalité. De nationalité française, du moins, car les Allemands avaient été privilégiés dans cette pioche préliminaire. Au final, « après concertation », selon la formule de rigueur, on recense 12 artistes français sur 29 dans l’exposition de Cologne et 7 sur 27 dans celle de Düsseldorf. Difficile de rompre des décennies de relations asymétriques avec l’étranger !

(1) L’échantillonnage comporte quatre galeries avec un chiffre d’affaires déclaré entre 2 et 3 millions d’euros, trois entre 500 000 et 700 000 euros et deux entre 300 000 et 500 000 euros.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°222 du 7 octobre 2005, avec le titre suivant : La tête et les jambes

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