La Seine-Saint-Denis : un département à la conquête de son patrimoine

Par Sophie Flouquet · L'ŒIL

Le 1 janvier 2005 - 619 mots

En passant sur le périphérique nord de Paris, qui ne s’est pas posé la question de savoir ce qu’était cette étrange bâtisse, aux allures de forteresse, s’élevant à deux pas de la Villette, en surplomb du canal de l’Ourcq ? Avec leur architecture hors du commun, due à l’architecte alsacien Eugène Haug, les Grands Moulins de Pantin, désertés depuis 2001, sont probablement l’exemple le plus emblématique du patrimoine industriel de la Seine-Saint-Denis. Ils n’en sont pourtant qu’un échantillon. Car ce département est encore jalonné d’une multiplicité de ces témoins d’une époque où l’industrie était encore conquérante. Et pendant laquelle la capitale se délestait sans complexes de ses activités nuisibles vers cette « arrière-cour » qu’était la proche banlieue, de préférence à l’est en raison des vents dominants (les westerlies) qui évacuaient les fumées sans qu’elles ne passent au-dessus de la capitale. Malgré la désindustrialisation, les mutations urbaines et la pression foncière, le périphérique demeure encore une véritable frontière, et si Paris dispose de moins en moins de friches industrielles, elles abondent toujours sur les communes limitrophes de Pantin, Aubervilliers ou Saint-Denis, où soixante-cinq hectares de terrains sont vacants depuis la fermeture des Entrepôts Magasins généraux de Paris (EMGP), dans les années 1960. Les travaux d’aménagement pour l’accueil des jeux Olympiques de 2012 permettraient enfin d’exploiter une partie de ce réservoir.
Si une requalification de ce « territoire de relégation » est nécessaire, celle-ci ne doit toutefois pas se faire en occultant toute trace de son passé. Pour sensibiliser les élus, il fallait donc enquêter, afin d’élaborer un diagnostic, préalable indispensable à la connaissance et à la sensibilisation des élus et des habitants. En 2001, le département signait ainsi un protocole de décentralisation culturelle avec l’État, d’une durée de trois années. La démarche, expérimentale, donnait les outils au département pour créer un service départemental de l’inventaire, qui allait accompagner l’expérience. Animé par une équipe d’historiens, ce Bureau du patrimoine prend alors en charge l’élaboration d’un « Atlas du patrimoine départemental », véritable travail de fourmi destiné à faire émerger ce qui doit être préservé, le patrimoine protégé et donc étudié – constitué presque uniquement d’églises – étant peu représentatif du territoire et de ses mutations. Plusieurs axes s’en dégagent, le patrimoine industriel d’une part, mais aussi le patrimoine du logement social. Car depuis les années 1850, le nord-est de Paris est devenu un véritable laboratoire en la matière, de manière plus ou moins heureuse, des cités ouvrières de l’entre-deux-guerres aux cités d’urgence des années 1950, dont la qualité patrimoniale n’est pas toujours évidente. Ainsi du célèbre « serpentin » des Courtillières de Pantin, construit de 1958 à 1964 par Émile Aillaud sur les anciens terrains militaires des « fortifs » qui venaient d’être affectés au logement social. Fortement dégradé par manque d’entretien, l’ensemble était récemment menacé de démolition, mais aussi peu séduisant soit-il, il appartient lui aussi à l’histoire du peuplement du département.
La réalisation de cet atlas est donc un enjeu culturel réel pour le département, avant que celui-ci ne se transforme radicalement. C’est ainsi qu’il a permis de faire émerger un autre pan méconnu de l’histoire locale : le patrimoine rural, qui rappelle que le nord de Paris était appelé au XVIIIe siècle plaine des Vertus, car il était le poumon maraîcher de la capitale. Si les fermes ont laissé la place à l’industrie et à l’urbanisation dès le siècle suivant, le centre-ville d’Aubervilliers conserve encore quelques rares maisons-légumières de cette époque. Recoupées en appartements ou fortement dégradées, elles pourraient toutefois devenir le moteur d’une requalification complète du cœur de la ville. Car ce patient travail d’inventaire peut aussi servir de base de travail pour les municipalités, à l’heure de l’élaboration des plans locaux d’urbanisme (PLU), préconisés par la nouvelle loi Solidarité et renouvellement urbain (SRU).

A consulter

L’atlas du patrimoine de Seine-Saint-Denis : www.atlas-patrimoine93.net

A lire

Cécile Katz, Territoire d’usines, Créaphis, 2003, 25 euros. Plusieurs titres sont également consacrés au patrimoine de Seine-Saint-Denis dans la collection « Itinéraire du patrimoine ».

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°565 du 1 janvier 2005, avec le titre suivant : La Seine-Saint-Denis : un département à la conquête de son patrimoine

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