La poésie du quotidien

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 24 avril 2008 - 892 mots

Conçu à Tokyo par Issey Miyake comme un lieu de réflexion autour du design, 21_21 Design Sight vient d’inaugurer une nouvelle exposition sur l’homme de demain

Dès les années 1980, Issey Miyake évoquait avec ses amis designers Isamu Noguchi, Ikko Tanaka et l’architecte Tadao Ando, l’idée de créer au Japon un musée entièrement consacré au design, ses enjeux et perspectives d’avenir. Finalement lancé en 2003, ce vaste projet s’est concrétisé l’année dernière, au mois de mars, avec l’inauguration du 21_21 Design Sight à Tokyo dans le très huppé quartier de Roppongi. Imaginé par Issey Miyake, réalisé sur les plans de Tadao Ando, ce lieu de création doit son nom à l’expression anglaise « 20/20 pour la vue » ; le 21/21 évoquant l’idée d’une vision plus que parfaite et résolument tournée vers l’avenir. Le 21_21 Design Sight a pour ambition de révéler de nouveaux talents et des innovations dans le domaine, mais surtout de donner la parole aux designers, créateurs, artisans ou chercheurs afin de confronter leur regard sur le monde contemporain jusque dans son quotidien. « Le design, c’est ce qui relie les gens et leur environnement, explique le designer Taku Satoh, associé au projet. Au Japon, on parle beaucoup de design sans l’expliquer vraiment. Pour moi, le design peut rendre les gens heureux, introduire une nouvelle façon de percevoir le monde. Il peut vous obliger à vous poser des questions. C’est la vocation de ce lieu ». Le designer Naoto Fukasawa, qui participe à la programmation du 21_21 Design Sight, croit lui aussi en cette relation préexistante entre l’être humain et son environnement : « Ce lien invisible est là pour être découvert. Je serais content si les visiteurs de nos expositions prenaient conscience de choses évidentes qu’ils n’auraient pas perçues auparavant ». Pour Issey Miyake, il s’agit enfin de proposer des alternatives à la frénésie de consommation et l’individualisation grandissante de la société nippone. Pour exalter cette « sensibilité esthétique japonaise » unique qui menace de disparaître, Tadao Ando a imaginé un lieu très bas, en béton vibré, bordé de cerisiers, avec la moitié des espaces en sous-sols. Au total, 1 700 m2 ont été conçus d’un seul tenant à l’instar de la pièce de vêtements d’Issey Miyake et de sa ligne Pleats Please, dont les recherches s’orientent aujourd’hui autour des matières et techniques de fabrication. Le 21_21 Design Sight a prévu d’organiser deux expositions par an, choisies en alternance par Issey Miyake, Naoto Fukasawa et Taku Satoh. Après une première exposition inaugurale et une deuxième organisée par Fukasawa autour du chocolat, c’est Issey Miyake qui signe la troisième manifestation à l’occasion du premier anniversaire du lieu. Le créateur s’est intéressé à l’homme du XXIe siècle, aux bouleversements que les nouvelles technologies et la science vont introduire dans la notion même de design et dans la production industrielle en général. Il s’agit, précise le créateur, d’explorer les « évolutions possibles du design jusque dans ses relations avec le corps humain et de réfléchir aux possibilités d’un monde meilleur. L’objectif est d’inviter le visiteur à se joindre à notre réflexion sur le futur ». À commencer par l’œuvre de Koutaro Sekiguchi, artiste et enseignant dans une école pour enfants handicapés, une immense sculpture compilant des formes créées à partir de matériaux du quotidien (papier journal et ruban adhésif). Tim Hawkinson travaille lui aussi avec des matériaux non précieux comme en témoigne son dragon de plus de deux mètres sur trois, peint à l’encre sur papier. Ce dessin est né de ses expérimentations avec un pinceau particulier ; le dragon n’est apparu qu’aux termes de ses recherches. Symbole très fort en Asie, référence à l’énergie, la force et l’équilibre de la nature, ce dragon a tout de suite plu à Issey Miyake. Pour ce parcours, le designer de mode a lui-même conçu, avec ses équipes, une vaste installation faite de résidus de papier. Basée sur Le Sacre du Printemps de Stravinsky et le Yamata-no-Orochi, monstre de la mythologie japonaise, l’installation souligne les problèmes d’environnement et les enjeux du traitement des déchets. Pour créer la pièce The Wind, Dai Fujiwara, directeur de la création de la marque Issey Miyake, et son équipe ont utilisé des appareils électroménagers Dyson. Démontés et recyclés, ces anciens aspirateurs prennent corps pour créer une étrange galerie de mannequins hybrides. Allusion directe aux Pleats Please, le fauteuil de Nendo – agence de design connue pour son travail pluridisciplinaire, entre architecture, graphisme, décoration d’intérieure et design – a lui aussi été réalisé à partir des résidus de papier issus du processus de production de la célèbre ligne de vêtement. Avec sa sculpture de cuivre en plein air jouant sur les variations climatiques, Yasuhiro Suzuki évoque les cycles de la vie, tandis que l’artiste Dui Seid a choisi d’illustrer la fragilité de l’homme avec cette vision de l’intérieur d’un corps humain travaillé à base de la branche de mûrier qui sert aussi à fabriquer le papier washi (papier recyclé). L’œuvre est placée en regard d’un très beau dessin d’Isamu Noguchi, un nu aux lignes pures exécuté en 1930. Miyake reconnaît en effet volontiers s’être inspiré de l’artiste pour concevoir ce lieu consacré à la poésie du quotidien.

« XXIst Century Man »

Jusqu’au 7 juin, 21_21 Design Sight, Tokyo Midtown Garden, 9-7-6 Akasaka, Minato-ku, Tokyo, tél. 81 3 34 75 21 2, http://www.2121designsight.jp, tlj sauf mardi (excepté le 6 mai), 11h-20h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°280 du 25 avril 2008, avec le titre suivant : La poésie du quotidien

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