La peur du vide

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 14 mai 2004 - 501 mots

Denys Riout consacre une étude aux œuvres immatérielles de Klein. Édité par Gallimard, l’ouvrage montre comment Yves le Monochrome a pavé la route vers l’invisible.

Le 14 mai 1957, dans le cadre de son exposition « Propositions monochromes » à la galerie parisienne Colette Allendy, Yves Klein expose à l’étage de la galerie des « Surfaces et blocs de sensibilité picturale. Intentions picturales ». La manifestation est le point de départ de l’ouvrage consacré par Denys Riout aux œuvres immatérielles de Klein. De cette date à la disparition de l’artiste en 1962, l’historien de l’art s’attache dans son dernier essai à suivre un corpus qui, trop souvent, se cache derrière « L’exposition du vide » du 28 avril 1958 à la galerie Iris Clert, à Paris. D’abord, parce que l’exposition ne s’appelait pas ainsi (mais « La spécialisation de la sensibilité à l’état matière première en sensibilité picturale stabilisée »), ensuite parce qu’elle s’inscrit dans une démarche bien plus vaste où s’articulent, bien sûr, les cessions de Zone de sensibilité picturale immatérielle, mais aussi les Anthropométries ou la Symphonie monotonale. Car « toute la force de Klein, en la circonstance, note l’auteur, fut de construire une narration qui, d’étape en étape, de présentation en présentation, devait nous conduire à saisir ses intentions à vivre dans ses pas sa propre aventure ».
La méthode choisie ici est justement d’emboîter de nouveau ses pas pour formuler comment Klein a suggéré et « spécialisé » l’immatériel. Car à la fin des années 1950, l’invisibilité n’était pour le coup pas grand-chose. Comme le rappelle Ryout, Merleau-Ponty ne commence à rédiger Le Visible et l’invisible qu’en 1959 et l’art conceptuel émerge dans les années 1960 seulement. Les références de Klein sont alors les intuitions du Journal de Delacroix (« le mérite du tableau est l’indéfinissable ») et la photographie dans ses pouvoirs supposés de révélation de l’invisible. Surtout, l’intelligence de l’artiste quant à la communication du récit de son œuvre consiste à s’appuyer sur une culture collective (le christianisme).
Un des aspects les plus intéressants de l’ouvrage est d’ailleurs l’attention qu’il porte à la « mise en scène » par Klein de sa démonstration et à l’élaboration d’une fiction pour croyants. L’artiste choisit le format de ses interventions, son public, fait réaliser des films et, même dans l’immatérialité la plus totale (la cession de Zones de sensibilité picturale immatérielle qui est totale une fois le reçu brûlé) s’assure d’une trace (articles, photographies, témoins appartenant au monde de l’art). Une production annexe qui n’a toutefois rien à voir avec les modes d’emploi de l’art conceptuel, mais plutôt avec la documentation d’un rituel. Comme l’écrit l’auteur, « de toute manière, aucun document ne nous dira jamais si la “sensibilité picturale immatérielle” relève, ou non, de la fiction. Loin de s’imposer à coup de “preuves” (définitivement introuvables, comme les preuves de l’existence de Dieu), elle nous laisse absolument libres. »

Denys Riout, Yves Klein. manifester l’immatériel, Gallimard, collection « Art et artistes », 2004, 209 p., 22 euros, ISBN 2-07-4418-3.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°193 du 14 mai 2004, avec le titre suivant : La peur du vide

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