Design

La main verte

Le Salon du meuble de Milan n’échappe pas à la vague de « l’éco-responsable »

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 6 mai 2008 - 1113 mots

MILAN - Malgré le climat d’incertitude dû à la crise économique actuelle, le 47e Salon international du meuble de Milan, qui s’est déroulé du 16 au 21 avril, a néanmoins tenté, l’espace d’une semaine, de se dessiner un futur un peu plus joyeux.

On ne sait si l’idée lui a été soufflée par le Prix Nobel de la Paix Al Gore – lequel soutenant la candidature de la capitale lombarde dans sa quête (victorieuse) pour accueillir l’Exposition universelle de 2015 lui avait décerné le label de « ville parmi les plus favorables à l’environnement » – mais le Salon avait revêtu un costume « green » très dans l’air du temps, quoique, pour l’heure, un peu étriqué. Car si le « bon » design n’est aujourd’hui plus seulement une question d’esthétique ou de fonctionnalité, mais aussi d’éthique, force est de constater que les vocables « durabilité », « design vert », « éco-design » ou « éco-responsable » qui fleurissent ici et là relèvent, pour beaucoup, davantage de la bonne conscience ou du marketing que d’une réflexion de fond. Ainsi, l’Américain Stephen Burks (projet Love chez Cappellini) a-t-il exhibé des petites tables en papier recyclé et des vases faits de tessons de verre et de silicone. Plus original, l’Espagnol Nacho Carbonell propose, lui, des « chaises-cocons » fabriquées en papier mâché (Évolution). De son côté, le Suisse Adrien Rovero a conçu, pour Droog Design, une collection de suspensions, Saving Grace, destinées aux ampoules (généralement « mochardes ») à économie d’énergie. Davantage prospectif enfin, le groupe Whirlpool a dévoilé son « concept visionnaire de cuisine du futur », baptisé « Greenkitchen ». L’idée est d’« exploiter les interactions » entre les différents appareils de la cuisine. En clair : de rediriger l’énergie utilisée par un appareil vers un autre appareil afin d’en optimiser l’usage et de « réduire la facture énergétique jusqu’à 70 % » (chiffre avancé par Whirlpool). Le développement durable, on l’aura compris, est un vrai défi, notamment pour l’industrie du meuble, laquelle est amenée à repenser entièrement son outil de production. Bref, cela prendra du temps. D’autant que l’outil « traditionnel », à en juger par la quantité de nouveautés présentées lors de cette édition 2008, est encore assurément en pleine forme. Avec, fatalement, ses réussites et ses déceptions. Il est ainsi amusant d’observer les créations de ces deux designers, l’Italien Fabio Novembre et l’Allemand Konstantin Grcic, pensées à partir de la mythique Panton Chair de Verner Panton. Le premier – chaise en polyéthylène Her pour Casamania – n’a pas dû cogiter très longtemps pour la doter d’une paire de fesses féminines du plus mauvais goût. Le second – chaise Myto en plastique Ultradur® pour Plank –, en revanche, a conclu une belle réflexion sur le siège « cantilever » en plastique, recherche sur le thème du porte-à-faux que l’on n’avait pas vu depuis… la Panton Chair justement.
Jamais à l’abri d’un bon coup, Philippe Starck, qui ne cesse de déclarer à qui veut l’entendre que le design ne sert à rien et qu’il ne veut plus produire d’objets, était pourtant bel et bien présent à Milan et en force (Kartell, Cassina, Serralunga, Axor…). Comme quoi, le ridicule ne tue pas ! Autre présence remarquée : celles des Espagnols avec les maisons Uno, Nanimarquina et Mobles 114, des duos comme Ana Mir et Emili Padros ou Martin Ruiz de Azúa et Gerard Moliné, ainsi qu’une vaste exposition intitulée « Spain Playtime », regroupant une vaste sélection de réalisations de ces cinq dernières années. Mais l’Ibère en vue est assurément Jaime Hayon, 34 ans. On se demandait qui pouvait monter sur la troisième marche du podium de l’extravagance en compagnie du tandem belgo-néerlandais Studio Job et du Batave Marcel Wanders. Eh bien c’est lui, le Madrilène « baroquo-cartoon », avec, entre autres, un « avion-lounge » tout habillé de mosaïques (Bisazza), une pièce certes gigantesque mais pas très inspirée. Un gigantisme qui persiste d’ailleurs encore chez quelques fabricants, dont le cristallier Swarovski qui, pour son annuel show Crystal Palace, a invité des créateurs en vogue – Zaha Hadid, Arne Quinze, Studio Job… – à imaginer des pièces si surdimensionnées qu’elles ne font plus rêver… Le rêve, lui, se raccroche à un autre registre : celui de l’objet unique, cet objet « à moi et à moi seul ! », antithèse parfaite de la production de masse. Et tant pis – ou « tant mieux », objecteront certains… – si l’objet rare est (forcément) dispendieux. À travers la présentation de moult séries limitées, voire de pièces uniques, les liaisons entre l’art et le design déjà perçues l’an passé (lire le JdA n°260, 25 mai 2007), se font, cette année, davantage insistantes. Sans doute les responsables du Salon milanais se demandent-ils aujourd’hui comment ils ont fait pour en arriver là : produire un système exactement contraire à ses aspirations… Reste que le phénomène s’amplifie, non sans opportunisme parfois. Ainsi, le célèbre antiquaire Mallett (Londres, New York), spécialiste du XVIIIe siècle, mais qui cale actuellement sur ladite période et pour cause, a dévoilé son projet Meta, conçu avec cinq agences internationales : Matali Crasset, Edward Barber et Jay Osgerby, Asymptote, Rod et Alison Wales, Tord Boontje. Celui-ci consiste à réunir les 50 meilleurs artisans de la planète pour réaliser une série de pièces qui s’apparentent clairement à un « nouvel art décoratif ». L’œuvre la plus emblématique est à n’en point douter L’Armoire de Tord Boontje, 550 kilos d’émail, d’acajou et de bronze, tarifée… 350 000 euros pièce ! De son côté, la Royal Tichelaar Makkum, manufacture royale de céramique des Pays-Bas, a demandé à quatre designers – Jurgen Bey, Studio Job, Hella Jongerius et Alexander van Slobbe – de revisiter le célèbre tulipier du XVIIe siècle. Résultat : quatre « pyramides » monumentales, éditées à sept exemplaires chacune (en moyenne, 70 000 euros pièce). La manufacture précise que ces pièces seront présentées du 18 mai au 8 juin, à New York, par le galeriste Murray Moss. Car le Salon de Milan sert aussi de tribune, sinon de caisse de résonance. Le rusé Néerlandais Maarten Baas l’a bien compris. Dans une scénographie séduisante -  un vieux garage du quartier de Tortona, laissé dans son jus –, il n’a montré que deux nouveaux projets : « Chinese Objects Object » et « Plastic Chair in Wood », deux pièces en bois sculpté… que la Contrasts Gallery (Shanghai) exposera en juin prochain à Bâle, pendant Art Basel, ainsi que la collection « The Chankley Bore », de vilains meubles en forme de robots… qui surgiront, en octobre, à Londres, pendant la Frieze Art Fair. Dans le langage de la communication, on appelle cela du « teasing ».

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°281 du 9 mai 2008, avec le titre suivant : La main verte

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