Céramique

La magie du four

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 3 septembre 2008 - 958 mots

Grâce à la qualité des productions, la céramique contemporaine sort peu à peu du purgatoire. Le marché n’en demeure pas moins encore timide.

L’an dernier, la galeriste new-yorkaise Barbara Gladstone organisait une exposition « Makers and Modelers : works in ceramic ». Jeff Koons a quant à lui décroché l’un de ses premiers records avec une céramique représentant Michael Jackson et son chimpanzé Bubbles. Au Royaume Uni, le céramiste Grayson Perry fut l’heureux lauréat du Turner Prize en 2003. Tout irait donc pour le mieux pour la céramique contemporaine ? Gare aux raccourcis ! Ce médium sort certes de son ghetto grâce à quelques amateurs. Il n’en reste pas moins confidentiel, sujet à de nombreux malentendus. Mais qu’est-ce au juste que la céramique dite contemporaine ? Pour l’une des galeries pionnières en la matière, la Parisienne Clara Scremini, « c’est l’objet revisité dans une tradition, une mémoire sans nostalgie ringarde ».
Contrairement à certains pays européens, les États-Unis n’ont jamais disqualifié ce médium. Père spirituel de la céramique américaine, Peter Voulkos fit voler en éclats les frontières entre l’art et l’artisanat dans les années 1950. Son aura a servi de locomotive à une génération d’Américains, comme Ron Nagle, dont les œuvres valent entre 15 000 et 25 000 dollars. Le céramiste d’origine japonaise Jun Kaneko, dont les créations s’échangent entre 30 000 et 50 000 dollars, est sans doute l’un des élèves les plus brillants de Voulkos. Le maître disait d’ailleurs du disciple : « Ses œuvres sont énigmatiques et insaisissables, simultanément sobres et puissantes, orientales et occidentales, statiques et vivantes, intellectuelles et taquines, techniques et novatrices. » Difficile d’imaginer meilleur éloge ! La plupart des céramistes américains aborde la matière par le prisme de la sculpture ou de la peinture. Ron Nagle le dit bien : « La céramique est indirecte et j’ai cherché les moyens de la rendre plus directe, comme la peinture. Je ne suis pas un fan de beaucoup de céramiques, mais j’adore la peinture. L’argile a certaines qualités de tridimensionnalité, mais mon travail traite essentiellement de peinture. » Tropisme anglo-saxon, la céramique a tout autant pris ses aises en Grande-Bretagne avec des créateurs historiques comme Lucie Rye et Hans Coper. On comprend dès lors que personne ne se soit vraiment offusqué qu’un Turner Prize soit décerné à un céramiste. Les pays nordiques ne sont pas non plus rétifs à ce médium. L’Allemand Stephan Hasslinger, dont les prix naviguent entre 2 500 et 10 000 euros, s’inspire de l’esthétique de la haute couture. La fluidité du vêtement est restituée par une matière ondulante et alvéolaire, servie par des émaux pastels tout en velouté.
La situation est moins reluisante dans l’Hexagone. Il aura fallu le travail visionnaire du regretté Pierre Staudenmeyer pour voir la céramique obtenir un droit de cité. « Le marché est très statique, les gens sont perdus et achètent ce qui est à la mode. Les collectionneurs indépendants se comptent sur les doigts de la main », déplore Clara Scremini. Qui dit marché français atone, suppose prix modestes. De fait, les grandes pièces de Jean Girel ne dépassent pas les 4 000-5 000 euros. Sans doute produit-il aussi davantage que certains de ses confrères. Les choses évoluent toutefois piano, piano, moins dans le cercle des céramistes que dans celui des artistes. Une incursion qui n’est pas forcément du goût de Clara Scremini, laquelle regrette « le retour du bibelot rococo ». Nonobstant cette critique, la Manufacture nationale de Sèvres réalise aujourd’hui près de 70 % de ses productions avec des plasticiens. « Ce n’est pas un médium qui s’impose d’emblée aux artistes, sauf pour ceux qui, dans le cadre de leur travail, ont une proximité avec la matière et les formes, indique David Caméo, directeur de la Manufacture. Mais il n’y a plus une approche craintive d’un médium qui ne serait réservé qu’aux potiers. Par le décor, la forme ou l’adjonction, les artistes peuvent transcender une matière très primaire et lui donner une dimension créative. » Représenté par la galerie Emmanuel Perrotin et exposé jusqu’au 26 octobre au Musée de la Chasse et de la Nature à Paris, le Belge Johan Creten est l’un des rares sculpteurs à savoir éprouver les ressorts de la céramique. Ses prix, entre 6 000 et 70 000 euros, voguent davantage du côté de l’art...

Cornes d’abondance

Le travail de la Canadienne Kristin Mc Kirdy joue sur l’ambiguïté entre une rugosité externe et une dimension polie interne. Maniant subtilement l’extérieur et l’intérieur, cette céramiste donne l’illusion de cavités qui finalement se ferment à notre regard. Ses formes sobres et puissantes subjuguent puis déroutent. « La densité, la porosité, les griffures, les tonalités grisées ou couleur terre, le glaçage de l’émail, blanc comme lait ou de couleurs très vives, confirment peu à peu l’impression vague que ces objets aux formes sculpturales et organiques sont inhabituels de par leur construction et matière, écrit la critique d’art Elisabeth Védrenne. L’aura qui s’en dégage naît de cette incertitude initiale et c’est bien ce qui nous déroute chez elle et qui nous attire ». Et d’ajouter : « Rien n’est exactement tel qu’il devrait être. Les cosses ou les capsules sont surdimensionnées, les obus se métamorphosent en seins gonflés, les glands se muent en cornes d’abondance. La première impression est aussi trompeuse que l’est son apparence. De près l’objet apparaît simple, et lorsqu’on s’en éloigne, on perçoit autre chose, l’esprit se met à divaguer. » Présentées un temps à la galerie Pierre à Paris, ses œuvres ont vu leurs prix évoluer sensiblement. « Quand j’ai commencé à acheter Kristin Mc Kirdy, voilà une dizaine d’années, ses pièces valaient autour de 800 euros, rappelle son galeriste actuel, Pierre-Marie Giraud. Aujourd’hui, il faut compter entre 5 000 et 10 000 euros. » Une progression justifiée.

« Habités par la terre »

Pierre-Marie Giraud, galeriste à Bruxelles



Qu’est-ce qui distingue les céramistes des artistes travaillant la céramique ?

Les artistes se sont rarement frottés au sens propre du terme à la céramique. Picasso travaillait avec Madoura, Miró avec Artigas. Picasso a aussi utilisé la céramique pour sa dimension sculpturale. Mes artistes ne sont pas plasticiens et je ne veux pas les défendre en leur mettant un faux nez. Le médium n’est pas pour eux une finalité, mais une composante importante, liée à la matière. Ces céramistes sont habités par la terre, fabriquent même parfois leur propre terre.

Quid de la céramique de designer ?

Les céramiques de designer sont sèches, ne vibrent pas, manquent de sensualité. Malgré tout, ce sont les marchands de design, comme Pierre Staudenmeyer, qui ont fait avancer la céramique contemporaine, plutôt que les marchands de céramique.

La céramique semble bien assimilée outre-Atlantique. La scène américaine est-elle ainsi plus dynamique ?

Les liens entre l’art et la céramique sont plus flous là-bas. Les céramistes se sentent davantage sculpteurs, ce qui compte c’est la dimension monumentale de l’objet. Si, en France, un Jean Girel réfléchit en termes d’épiderme, de poésie de l’émail, les Américains pensent plutôt en volumes. La céramique évoque aussi pour eux le paysage, comme dans le cas de Ron Nagle. Tony March a lui passé son enfance à ramasser des coraux ou coquillages en bord de mer, ce qui explique son univers bleu et blanc tout en douceur.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°286 du 5 septembre 2008, avec le titre suivant : La magie du four

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