La France en passe de se doter d’un grand musée du design

Plusieurs projets concurrents, à Paris et en province, sont à l’étude

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 17 mai 2002 - 2003 mots

Les projets de « Musée du design » se bousculent actuellement, à Paris et en province. Sur le papier, deux d’entre eux sortent du lot. Le plus ambitieux, celui de la « Cité de la mode et du design », aussi appelé « Centre français de la création, de la mode et du design », est initié par l’État. Le plus avancé, celui du « Centre international de design », est porté par la Ville de Saint-Étienne. État des lieux des différents projets.

La France du design a assurément le vent en poupe. On ne compte plus les projets de maison, rue, musée, centre, ou encore, cité... du design qui fleurissent ici ou là sur le territoire métropolitain. Certains sont soutenus par des ministères (Culture, Industrie...) et/ou des villes (Paris, Saint-Étienne...), d’autres par des associations regroupant divers professionnels des métiers du design. Certains projets sont de carrure hexagonale, comme ce “Centre national de design packaging”, porté par Atlanpack (1), groupe de designers du packaging de luxe basé à Cognac. D’autres revendiquent une envergure européenne, sinon mondiale, tel le “Centre international de design” (CID) de Saint-Étienne. Concocté par Jacques Bonnaval, directeur de l’École des beaux-arts de la ville, et soutenu à bout de bras par Michel Thiollière, sénateur-maire de la cité forézienne, c’est, à l’heure actuelle, le plus avancé des projets français. Nantie d’une Biennale de design fort appréciée (2), d’une École des beaux-arts à la section design réputée, d’un Musée d’art moderne pourvu d’une remarquable collection de mobilier du XXe siècle et, enfin, d’un passé industriel de haute volée (armes, cycles, rubans), Saint-Étienne a de quoi pavoiser. “Le design est aujourd’hui au cœur de la société en mouvement, donc au cœur de la modernité, observe Michel Thiollière. Or, notre pays n’a pas, à ce jour, un lieu identifié pour l’évoquer. D’où ce Centre international de design, qui sera un lieu de formation et de recherche, ainsi qu’un banc test pour les entreprises.” Un premier rapport d’études a été remis au ministère de la Culture, qui l’a d’ailleurs financé en partie, à hauteur de 30 490 euros. Le CID, d’une surface de 10 000 m2, est appelé à s’installer dans un lieu mythique : le site de GIAT Industries, autrefois Manufacture d’armes de Saint-Étienne. Un concours d’architecture pourrait être lancé début 2003, pour une livraison des locaux à l’orée 2005. Coût total : 19 millions d’euros. Budget de fonctionnement (pour la première année) : 1,1 million d’euros.

La relative avance, sur le papier, du projet stéphanois n’a fait qu’amplifier le remue-méninges dans la capitale, où plusieurs projets s’affrontent... ou se complètent, c’est selon. À commencer par celui de l’association “XX-XXI, pour un Musée du design et des arts décoratifs des XXe et XXIe siècles à Paris”, fondée par le journaliste Jean-Louis Gaillemin et le galeriste Yves Gastou. “Le gros problème, à Paris, c’est que nous avons énormément de pièces de design ou d’art décoratif, mais nous ne les voyons pas, fulmine Jean-Louis Gaillemin. Outre le Musée des arts décoratifs, actuellement en travaux, toutes les autres collections, celles du Musée d’art moderne de la Ville de Paris, du Centre Georges-Pompidou, du Mobilier national, du Fonds national d’art contemporain et du VIA (3) sont stockées dans des réserves. D’un côté, nous cherchons un bâtiment pour exposer le design, de l’autre, le Musée des arts d’Afrique et d’Océanie (MAAO) sera entièrement vidé au 31 décembre de cette année (4) : pourquoi alors ne pas investir cet édifice libre et magnifique ?”, s’interroge-t-il. À ce jour, la Réunion des musées nationaux n’a dit mot, alors que l’idée d’un “Musée des cultures d’outre-mer” fait son chemin. Exit donc, pour le moment, un “MAAO à la sauce design”.

De son côté, la Ville de Paris a, dans sa besace, moult projets, plus ou moins calés, qui flirtent peu ou proue avec le design. Anne Hidalgo, première adjointe au maire de la capitale, songe à une “Cité du multimédia”, alors que Georges Sarre, le maire du XIe arrondissement, voudrait implanter au cœur du périmètre dont il a la charge un “Centre de la jeune création et des métiers d’art”... cher à Lyne Cohen-Solal, l’adjointe au maire de Paris, chargée du commerce, de l’artisanat, des professions indépendantes et des métiers d’art. Celle-ci évoque par ailleurs une “Pépinière d’entreprises de design”, qui viendrait s’installer rue du Faubourg-du-Temple, non loin des nouveaux bureaux du designer Philippe Starck (un signe ?), ainsi qu’une “Rue du design”, dont l’emplacement n’est pas encore choisi mais qui, sur le modèle de la “Rue de la mode”, sise rue des Gardes, dans le XVIIIe arrondissement, accueillerait agences et boutiques réservées aux jeunes designers. Enfin, Christophe Girard, adjoint au maire chargé de la culture, souhaite, lui, une “Maison du design” : “Nous avons aujourd’hui en France une génération de créateurs fantastique, estime-t-il. Ne pas avoir un lieu de référence pour la montrer est une carence très grande.” À cet effet, l’adjoint à la culture parisien convoite d’ailleurs un bâtiment dans le XIIIe arrondissement : “Un ancien entrepôt du côté de la ZAC Tolbiac, précise-t-il. Il est situé non loin des galeries d’art de la rue Louise-Weiss, ce qui permettrait, notamment, d’être géographiquement cohérent avec le monde de la création.” Pour l’instant, aucun de ces projets n’a démarré.

À l’instar du Design Museum de Londres ou du Design Forum Finland d’Helsinki, Paris a assurément besoin d’un lieu pour montrer le design, un espace qui devra accueillir non seulement des collections permanentes, mais également des présentations temporaires. Car beaucoup d’expositions itinérantes consacrées au design, et non des moindres, évitent allègrement la capitale française. Ce fut le cas de celle sur l’Allemand Dieter Rams, montrée en septembre dernier au Musée du design de Lisbonne (lire le JdA n° 134, 12 octobre 2001) et il en sera de même avec la rétrospective sur l’Italien Gio Ponti, qui vient de débuter au Design Museum de Londres. Tout juste a-t-on récupéré l’exposition sur le Japonais Isamu Noguchi, qui a eu lieu l’an passé dans ce même musée londonien, et que la Maison de la culture du Japon à Paris présentera, du 24 septembre au 14 décembre, dans une version néanmoins allégée faute de place.

Reste que le futur espace ne doit, en aucun cas, n’être qu’un lieu d’expositions patrimoniales, occultant de fait tout le volet économique inhérent à l’activité design. D’où ce dernier projet, à n’en point douter le plus ambitieux, tant il représente un enjeu à la fois politique, économique, professionnel et, évidemment, culturel : celui de “Cité de la mode et du design”. Cette quatrième “Cité”, après la Cité des sciences, la Cité de la musique et la Cité de l’architecture et du patrimoine, dont l’ouverture, au Palais de Chaillot, est programmée pour l’an prochain (lire le JdA n° 146, 5 avril 2002), se profile à grands pas. Ou plutôt se profilait... car, eu égard au récent changement de gouvernement, le projet devrait certainement, pour quelque temps du moins, prendre du retard. Et pourtant, il revient de loin. Car avant d’être “Cité de la mode et du design”, elle fut d’abord “Cité de la mode” tout court. C’est en effet depuis le début des années 1990 que les métiers de la mode (couture, accessoires, cosmétiques) cherchent à se doter d’un lieu de “promotion du style et des créateurs français”. Or, ce n’est que fin 2000 que l’idée trouvera preneur, en la personne de Christian Pierret, alors secrétaire d’État à l’Industrie qui, séduit, décide la mise en œuvre du projet. Le 7 mars 2001, il charge officiellement Pascal Morand, directeur de l’Institut français de la mode (IFM) – organisme d’études, de conseil et de formation –, de réfléchir à la question. Quatre mois plus tard, celui-ci remet un rapport qui préconise la création d’une “Cité de la mode”. “Le projet global, souligne Pascal Morand, s’articulait autour de trois axes : une formation de haut niveau – 3e cycle – jumelée à un centre de ressources pédagogiques, un service aux entreprises et la valorisation de la création, à travers des salles d’exposition et une galerie d’actualité.” Dans le même temps, le VIA, qui stocke, depuis près de vingt ans, en banlieue parisienne, une foule de meubles uniques et de prototypes (450) commandés aux designers, cherche à les exposer. Fin 2001, un rapprochement s’opère entre l’IFM et le VIA : “Nous nous sommes trouvé une philosophie et des objectifs semblables, sourit Pascal Morand. Entre les textiles de la mode et ceux de l’ameublement, il n’y a qu’un pas.” Sauf que, début 2002, certains designers s’inquiètent que le design ne fasse la part belle qu’au mobilier. Mi-février, David Nitlich, PDG de l’agence Cent Degrés, lance alors le “Collectif 500”, mouvement qui compte aujourd’hui plus de 200 signataires, agences de design (Dragon Rouge, Raison Pure, Carré Noir...) et grandes entreprises françaises (Décathlon, Thomson, Salomon, Lafuma, Alcatel, Michelin...). “On ne peut parler de design sans parler de packaging, de produit, de graphisme, d’identité, d’environnement ou d’architecture commerciale, insiste David Nitlich. Nous souhaitons donc faire partie intégrante de la réflexion pour que tous ces secteurs soient pris en compte.” “Il n’y a aucune raison d’être aussi alarmiste, assure Gérard Laizé, directeur général du VIA, car le projet sera évidemment ouvert à toutes les formes de design.” Le 12 avril dernier, Christian Pierret envoie in extremis une seconde lettre de mission à Pascal Morand, pour qu’il rédige un rapport approfondi sur la future “Cité” : “La lettre, indique le directeur de l’IFM, nous demande, à moi-même et à Gérard Laizé, de bâtir un projet commun et de mener une étude de faisabilité détaillée.” Remise de la copie avant la fin juin 2002.

S’il est trop tôt pour esquisser le budget d’une telle opération, voire une idée de surface – on parle de 15 à 20 000 m2 –, il est, en revanche, un lieu vers lequel tous les regards semblent converger : celui de l’Imprimerie nationale, dans le XVe arrondissement. Mais les premières estimations des Domaines évaluent le bâtiment – 37 000 m2 – à 100-130 millions d’euros et l’État, propriétaire, espère le vendre à un prix fort, pour, entre autres, “digérer” le déménagement de l’Imprimerie nationale en périphérie parisienne, à l’horizon 2003-2004.

La Ville se dit prête à financer des études : “Le maire de Paris, Bertrand Delanoë, est d’accord sur le principe”, affirme Lyne Cohen-Solal. Et Jean-Paul Huchon, président de la Région Île-de-France, devait, lui, exposer le projet de “Cité de la mode et du design”, devant le conseil régional, le 16 mai... Or le récent changement de gouvernement pourrait aussi gommer le caractère d’urgence de la présentation. D’ailleurs n’a-t-on pas déjà laissé échapper la “fenêtre de tir” favorable d’avant les présidentielles, lorsque le triumvirat Ville-État-Région arborait la même couleur politique, ce qui, en toute logique, aurait dû faciliter les choses. Il faudra désormais attendre la décision du nouveau secrétaire d’État à l’Industrie et, surtout, la signature d’un protocole entre ces trois entités, afin que le projet soit définitivement mis sur les rails. Sans oublier les législatives de juin prochain, qui pourraient voir l’arrivée d’un nouveau ministre, le troisième en moins de deux mois, ce qui n’aurait pour effet que de retarder encore un peu plus le lancement officiel de la “Cité de la mode et du design”. “Ce projet est voulu par un grand nombre d’industriels et de fédérations professionnelles de la mode et du design, confirme un proche du dossier, conseiller technique de l’ex-secrétaire d’État à l’industrie Christian Pierret. Il devrait donc, a fortiori, intéresser... un ministre de droite !” Puisse ce dernier prêter une oreille attentive : il en va de la crédibilité de la création française sur la scène internationale.

1. Atlanpack est l’un des organisateurs des rencontres annuelles de Cognac sur “Le Luxe et son Emballage”, dont la 11e édition vient de se dérouler les 15 et 16 mai.
2. La 3e édition de la Biennale de design de Saint-Étienne aura lieu du 16 au 24 novembre 2002.
3. Valorisation à l’Innovation dans l’Ameublement, l’antenne “recherche-design” de l’Union nationale des industries française de l’ameublement.
4. Les collections du MAAO rejoindront le Musée du quai Branly.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°149 du 17 mai 2002, avec le titre suivant : La France en passe de se doter d’un grand musée du design

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