La douloureuse naissance d’une collection

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 16 avril 2014 - 640 mots

Le 2 mai, le Louvre Abou Dhabi dévoile au Louvre Paris une partie de sa collection en gestation. Une occasion rare d’assiter à la naissance d’un musée.

Tu enfanteras dans la douleur. L’enseignement de la Genèse vaut pour toutes les naissances, y compris celle d’une collection de musée. C’est la leçon que retiendra sans doute le Louvre Abou Dhabi qui présente aujourd’hui, au Louvre Paris, quelques morceaux choisis de sa collection en gestation. Lors de la divulgation du projet d’un musée émirati aux collections universelles en 2006, en effet, des voix se sont élevées au sein des musées français, pour clamer leur inquiétude face à la délicate expertise des conservateurs de l’état qui devraient travailler pour le compte d’un pays étranger. Ce futur musée ne risquait-il pas de mettre en concurrence défavorable l’enrichissement des collections nationales ? « Si, sur le papier, ces réserves étaient légitimes, la réalité est bien différente », admet aujourd’hui Jean-Luc Martinez, président du Musée du Louvre Paris. Car aux réserves ont succédé, en tout cas au Louvre, l’adhésion, sinon l’émotion : « Il est très rare de voir une collection en cours de constitution, avec ses choix, ses parti pris. Il n’y a pas eu de projet équivalent depuis la constitution des grands musées américains. C’est très émouvant », glisse Vincent Pomarède, commissaire de ladite exposition, qui n’oublie pas qu’il fut l’un des opposants au projet.

Une collection inégale
« Louvre Abou Dhabi, Naissance d’un musée », l’exposition qui ouvre le 2 mai à Paris, n’est donc pas une exposition comme les autres. Elle ne cherche pas dégager un propos scientifique, ni même à dessiner les contours d’une collection encore en devenir, mais de faire « un point d’étape », explique Laurence des Cars, ancienne directrice scientifique de France-Muséums. Le Louvre présente donc une sélection de 150 œuvres sur près de 400 acquises depuis le lancement du projet, parmi lesquelles des tableaux de maîtres, de Bellini à Yves Klein, en passant par Jordaens, au milieu de pièces antiques venues d’Iran, de Grèce ou du Pakistan. Certaines sont exceptionnelles, comme cette « princesse » de Bactriane, et feraient presque oublier qu’il a fallu le plus souvent composer avec la réalité d’un marché où la rareté (pour les œuvres de l’archéologie du bassin méditerranéen, par exemple) le dispute parfois à la complexité (notamment pour les pièces précolombiennes, sujettes aux pillages). « Nous avons essayé d’éviter la juxtaposition de chefs-d’œuvre, prévient Laurence des Cars. Nous avons voulu au contraire constituer une collection dont les œuvres dialoguent entre elles. » Entendre : les chefs-d’œuvre se font rares sur le marché… Ce qui a d’ailleurs valu des critiques récurrentes contre France-Muséums, comme lors de l’acquisition d’un Portrait de femme de Picasso de 1928, dont certains ont pu moquer la qualité et la valeur, quand ils ne remettaient pas, en coulisses, en doute son authenticité ! Peinte la même année, La Lectrice soumise de Magritte est, en revanche, une œuvre exceptionnelle, qui ne sauve pas le médiocre Klee de 1938. La Partie de bésigue de Caillebotte (1881) est superbe ; Le Bohémien (1862-après 1867) ne présente pas Manet dans sa meilleure forme. Quant aux provenances exceptionnelles des deux collections de miniatures indiennes acquises pour le compte du Louvre Abou Dhabi (Pierre Jourdan-Barry et James Ivory), elles ne comblent pas la faiblesse des Cy Twombly un peu trop tardifs.

« Naissance d’un musée » présente donc une collection encore inégale, mais qui sollicite l’indulgence pour être véritablement jugée le 2 décembre 2015, jour de l’inauguration du « Louvre des sables ». En attendant, on saluera donc l’universalisme émirati qui fait se rapprocher une tête de bouddha d’un christ allemand, non loin d’une figure soninké du Mali et d’un sujet oriental de l’archéologue Osman Hamdi Bey. Comme un avant-goût du melting pot qui devra composer, en 2020, l’« île du bonheur » ?

« Naissance d’un musée »

Du 2 mai au 28 juillet 2014. Musée du Louvre. Ouvert tous les jours, sauf le mardi, de 9 h à 18 h. Nocturne le mercredi et le vendredi jusqu’à 21 h 45. Tarif : 13 €. Commissaires : Vincent Pomarède, Laurence des Cars et Khalid Abdul Khaliq Abdulla.
www.louvre.fr

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°668 du 1 mai 2014, avec le titre suivant : La douloureuse naissance d’une collection

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