La Culture existe, Soler l’a emballée

Un concours d’\"élite\"

Le Journal des Arts

Le 1 février 1996 - 956 mots

Jacques Rigaud, PDG de RTL, ancien directeur du cabinet de Jacques Duhamel au ministère de la Culture et auteur d’un récent ouvrage sur L’Exception française, a été chargé par Philippe Douste-Blazy de présider une commission destinée à \"redéfinir les missions et les méthodes\" de la rue de Valois. Il faut \"d’abord recentrer le ministère sur ses fonctions d’impulsion, de coordination, d’évaluation : c’est l’essence même du service public de l’action culturelle\", a déclaré Philippe Douste-Blazy. Il faut \"ensuite engager une concertation, méthodique et périodique, avec les collectivités locales, et enfin contractualiser les concours publics aux institutions culturelles, en contrepartie d’engagements véritables de service public\".

Initié par Jacques Toubon, alors ministre de la Culture, et finalisé par son successeur Philippe Douste-Blazy, le regroupement des services centraux du ministère de la Culture est programmé pour la fin 1998. Le choix de l’architecte pour rénover l’îlot dit des \"Bons Enfants\", ancienne propriété du ministère des Finances à proximité immédiate de la rue de Valois, a donné lieu à un concours prestigieux, auquel participaient quelques-uns des concepteurs les plus cotés du moment. Répondant prioritairement au souci de donner une image forte au futur ministère, le projet de Francis Soler s’est imposé devant ceux de Nouvel, Galfeti-Moussafir, Gaudin, Geipel-Michelin, Perrault-Lauriot Prévost et Wilmotte-Thurnauer.

PARIS - Sans doute ce concours aurait-il dû être l’apothéose de la politique culturelle officielle des années quatre-vingt, dont l’architecture fut un des principaux vecteurs. Mais alors que la fracture sociale s’ouvrait en grand dans la rue, qu’une proportion considérable d’architectes souffre sévèrement du manque de travail, que les écoles d’architecture manifestaient pour demander des financements dignes de ce nom et une réforme de l’enseignement qui ne viennent pas, l’évènement attendu s’est auto-dissout dans l’anachronisme de sa magnificence : pas moins de sept équipes d’envergure internationale pour donner au ministère de la Culture une belle façade. Et ce n’est pas un hasard si, pour donner corps à cette somptuaire culture du signe, Francis Soler a été désigné vainqueur. Car ce dernier, malheureux lauréat de l’un des derniers grands projets du Président François Mitterrand (le Centre de conférences international de Paris, quai Branly, annulé par Édouard Balladur pour cause de restrictions budgétaires), est l’archétype de l’architecte "à succès" des années quatre-vingt.

Extraordinaire recycleur des signes à la mode de son époque (la "transparence", la "virtualité", etc...), l’architecture pour Soler n’est jamais un problème mais toujours une solution : emballé, c’est vendu. Les archi­tectes étaient pourtant confron­tés à une noble question : quelle "image" pour quelle "culture" aujourd’hui ? Or, force est de constater qu’une conception relevant plus du packaging culturel que d’une authentique interrogation sur le sujet a été récompensée : à tous les problèmes posés par le transfert de nouveaux locaux (pas moins de vingt mille mètres carrés) dans les anciens bâtiments (l’un datant du début du siècle, réserves des anciens magasins du Louvre, aujourd’hui le Louvre des antiquaires, l’autre des années cinquante, construit pour le ministère des Finances) formant l’îlot des Bons Enfants, Soler a systématiquement répondu par un maquillage grimant une avant-garde bon marché.

Pour résoudre la question de l’unité esthétique du futur bâtiment, délicate compte tenu de l’hétérogénéité de l’ensemble, il propose ni plus ni moins d’emballer le tout dans une grande résille de ferronerie "inspirée d’un motif de Gaudi"... et hop! plus de problème. Outre le simplisme d’une telle attitude, pointent déjà ses contradictions intrinsèques : comme il ne peut poser son motif de ferronerie sur l’ornementation du bâtiment classique, trop volumineuse, il propose, idée pour le moins étrange, de le sérigraphier dans la pierre... et hop! plus de problème.

De même, pour accentuer l’impression d’un édifice homogène alors que les constructions existantes sont très irrégulières, toutes les façades sont systématiquement rabotées, alignées, lissées... et hop! plus de problème. Pour accroître la luminosité de la profonde cour intérieure reliant les deux immeubles, le projet Soler tranche dans le vif en ouvrant entièrement un des côtés de l’îlot sur la rue des Bons Enfants... et hop! plus de problème. C’est ainsi qu’à force d’escamotage, on en vient à se demander si, tant qu’à faire, il ne valait mieux pas construire un nouveau bâtiment.

Repeindre en blanc
Deux autres projets ont retenu l’attention du jury : celui, très beau, de Galfeti, qui utilisait la cour pour en faire un vaste espace de représentation, dramatiquement éclairé par de multiples percées dans les bâtiments périphériques. Celui enfin de Jean Nouvel, ramenant scrupuleusement le problème à la question posée : réhabiliter, si possible avec respect, deux bâtiments anciens afin d’accueillir le nouveau programme. Ne cherchant nullement à "faire image", le projet proposait plus honnêtement de répondre aux aspects fonctionnels posés par une reconversion. Ainsi, par exemple, pour améliorer l’éclairement de la cour, Jean Nouvel ne proposait rien d’autre que de la repeindre en blanc. Lumineux, non ? En tout cas, plus économique et plus délicat.

Le projet vise à regrouper la plus grande partie des services centraux entre le 3, rue de Valois et le nouvel ensemble, installé dans l’îlot des Bons Enfants, délimité par la rue Saint-Honoré, la rue Croix-des-Petits-Champs, la rue Montesquieu et la rue des Bons-Enfants. Sont concernés l’ensemble des directions d’administration centrale à l’exception de la direction des Archives de France, du Centre national de la cinématographie, et le département de l’organisation et des systèmes d’information. Les travaux de réhabilitation de l’opération devraient être lancés début 1997, pour être achevés fin 1998. Leur coût a été fixé à 224 millions de francs hors taxes. La surface de l’ensemble devrait avoisiner les vingt mille mètres carrés se répartissant en deux groupes distincts. D’une part, les bureaux qui devraient accueillir au minimum neuf cents agents. D’autre part, un ensemble de services : généraux (structures d’accueil, centres de documentation, archives, ...), sociaux (cantine pour mille cinq cents convives, ...), et logistiques (chaufferie, ...).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°22 du 1 février 1996, avec le titre suivant : La Culture existe, Soler l’a emballée

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