Art et communication

La belle et la bête

Le Journal des Arts

Le 3 mars 2000 - 421 mots

L’affaire est choquante. Pour tous ceux qui aiment et respectent l’art et, sans doute, pour ceux-là seulement. Les autres n’y verront qu’un bon argument de vente.

C’est une double page parue dans la presse magazine pour le “Rétinol concentré anti-cellulite” de Roc qui suscite cette réflexion. Sur la page de gauche, la reproduction partielle du tableau de Gustave Courbet, Les Baigneuses (1853, huile sur toile, 227 x 193 cm, Musée Fabre. Montpellier). Sur la page de droite, un mannequin, reflet de la femme idéale telle qu’on la dessine de nos jours. Comment comparer ce qui n’est pas comparable, et qui plus est à un siècle d’écart ? Opposer une femme d’âge mûr, aux hanches lourdes et rondes, critère de beauté à son époque et née sous le pinceau du chef de l’école réaliste, à une jeune mannequin dont on peut supposer que la paire de fesses a été au mieux retouchée par la photo, au pire par la chirurgie esthétique, est simplement ridicule. D’un côté, une femme chargée d’émotion qui respire la vie, la chaleur humaine, la sensualité... De l’autre, une pâle réplique statufiée, froide, inexpressive, mais dont les formes sont strictement conformes à celles que l’on veut donner à la femme actuelle. Les critères de beauté sont subjectifs et changeants. Ce qui était adulé hier est rejeté aujourd’hui, mais demain ? La roue tourne... Les modes vont, viennent et reviennent. Le phénomène est éphémère. Vouloir intégrer cette nymphette des temps modernes dans l’œuvre de Gustave Courbet est une insulte, un outrage, une offense à toutes les femmes des temps passés, présents et futurs.

Il a été maintes fois démontré que l’art et la publicité pouvaient s’apporter une valeur ajoutée réciproque. Ici, c’est l’art qui est bafoué, la communication qui est dévalorisée. Utilisé à mauvais escient, ce genre de mariage raté est nuisible aux deux cultures. Il démolit l’art, il démolit la publicité. Est-ce à dire que pour certains, la toile de Gustave Courbet se limite à “une grosse bonne femme bourrée de cellulite” ? Qu’en est-il alors de l’art pictural ? En revanche, le message publicitaire, à l’inverse de l’effet peau d’orange contre lequel le produit est censé lutter, est parfaitement lisse : “Si vous ne voulez pas ressembler à cette horrible créature du XIXe siècle, utilisez Rétinol concentré anti-cellulite de Roc”. Enfin, pour ne rien arranger, le résultat visuel de l’ensemble de l’annonce est laid, la partie technique réservée au produit lui-même étant assez indigeste. Un beau gâchis qui n’honore personne : ni l’annonceur, ni l’art, ni la publicité.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°100 du 3 mars 2000, avec le titre suivant : La belle et la bête

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