John Armleder Hors programme

Par Manou Farine · L'ŒIL

Le 20 mars 2009 - 572 mots

Une nuit, alors qu’il avait participé au montage de l’exposition d’un autre artiste, John Armleder s’introduit dans la galerie, décroche les tableaux et repeint les murs blancs en blanc, avant de remettre les œuvres à leur emplacement.

Un travail clandestin de jeune homme que l’artiste répertorie aujourd’hui comme « peinture murale » et qui le place à son poste favori : à courtoise et fine distance. La même distance qui, en cette fin d’hiver, lui fait s’approprier une exposition d’Olivier Mosset, reprise clés en main et signée par l’homme à la longue tresse noire.
« John est certainement l’artiste qui est le moins prisonnier de l’idée qu’il aurait quelque chose à dire en son nom, se réjouit Christian Bernard, directeur du Mamco à Genève. Il dit souvent : “Si je n’avais pas fait ça, un autre l’aurait fait. Si je n’avais pas fait l’artiste, ce type de travail aurait probablement été réalisé.” Il a une sorte de philosophie de la non-nécessité de tout. » À distance donc, tenue par une idée bien peu catholique de la nature même de l’art et de l’artiste.

Célébrer celui qui regarde et utilise l’œuvre
Chez Armleder, pas plus de héros que d’icône, de singularité des œuvres que de l’artiste. « J’ai toujours eu l’ambition d’être parfaitement banal, assure-t-il. Je ne me suis jamais senti détenteur de mon propre travail ; c’est même exactement l’inverse. La seule personne qui soit en jeu, c’est la personne qui utilise l’œuvre. » Une liquidation de soi dont il atteste encore par l’intervention sporadique d’alter ego fictifs qui viennent ici et là commenter ou contrarier ses hypothèses de travail et « ajouter du langage au langage ». Résultat : quarante ans d’une époustouflante production non programmatique, parfaitement disponible à toutes les interprétations, mais rétive à tout ordonnancement linéaire ou à toute classification par genre.
Après les happenings organisés avec le groupe Ecart, qu’il cofonde avec des camarades d’aviron à Genève en 1969 dans les pas de Fluxus, Armleder construit dans la foulée un art jouissif et finement cultivé, citant sans hiérarchie grands récits de l’histoire de l’art et sous-culture : peintures à coulures, peintures à pois empruntées à Picabia, peintures à la main, peintures déléguées, peintures à la manière de, copies, torsions, renversements de conventions de style, citations, pillages joyeux et érudits, discussions légères et affûtées avec l’académisme de l’abstraction.
En témoignent ses célèbres Furniture Sculpture, ou la rencontre d’un meuble et d’une peinture jouant d’un principe d’équivalence et de confusion entre le décor et l’œuvre. Une possible émanation, accorde-t-il, d’une enfance passée à l’hôtel Richemond, palace mythique en bordure du lac de Genève tenu par la famille Armleder. « Au fond, nous vivions dans des décors amovibles. » Si les Furniture Sculpture le projettent sur le devant de la scène internationale, il a longtemps eu pour principe de ne rien refuser. Par courtoisie ou goût de la rencontre, et toujours cette idée d’un travail absolument disponible.
Ces derniers temps, Armleder freine un peu : petites et grosses galeries, grandes institutions, jeunes commissaires et collectionneurs se l’arrachent. « Mais, ironise gentiment sa compagne, l’artiste Mai-Thu Perret, il serait toujours capable d’accepter une exposition dans une pizzeria. »

Biographie

1948
Naissance à Genève.

1966-1967
École des beaux-arts de Genève.

1986
Présent dans le pavillon suisse de la Biennale de Venise.

1992-2000
Membre de la Commission fédérale des Beaux-arts de Suisse.

2007
Rétrospective à Genève.

2009
Poursuit sa carrière d’enseignant en Allemagne et en Suisse.

Vides, catalogue de l’exposition de Beaubourg, coédition JRP/Centre Pompidou, 540 p., 39 euros. John Armleder est l’un des 6 commissaires de l’exposition « Vides » qui vient de fermer ses portes à Paris.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°612 du 1 avril 2009, avec le titre suivant : John Armleder Hors programme

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