L'actualité vue par

Jean-Marc Poinsot, historien de l’art

« Pour le large public, il manque peut-être en France un éditeur »

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 9 janvier 2004 - 1381 mots

Professeur d’histoire de l’art moderne et contemporain à l’université de Rennes-II, Jean-Marc Poinsot a créé en 1989 les Archives de la critique d’art (1). Parmi les ouvrages qu’il a publiés, citons L’Atelier sans mur (Art Édition, 1991) et Quand l’œuvre a lieu. L’art exposé et ses récits autorisés (Mamco, Genève, 1999). Depuis octobre 2001, il est directeur des études et de la recherche de l’Institut national d’histoire de l’art (INHA), à Paris. Il commente l’actualité.

Daniel Arasse vient de mourir. Quel est selon pour vous son apport à l’histoire de l’art ?
Au-delà de sa connaissance de l’art italien, sa façon de décrire et de commenter les œuvres exerçait une réelle fascination sur le lecteur. Il y avait une vraie jubilation dans son approche, qu’il savait faire partager à ses lecteurs. J’ai lu certains de ses livres d’un bout à l’autre sans interruption. Je ne serai pas le seul à regretter la vivacité de sa pensée et de sa parole.

Comme chaque année, les fêtes de fin d’année ont été l’occasion de nombreuses sorties de « beaux livres d’art », peut-être au détriment de l’édition d’essais critiques. En tant qu’ancien directeur du bulletin Critiques d’art, qui recense ces parutions, comment voyez-vous l’évolution de cette activité ?
Noël n’est pas la saison des essais sur l’art, mais quelques-uns sont sortis ces derniers mois. On peut citer l’ouvrage de Jean-Yves Jouannais, L’Idiotie en art (éd. Beaux Arts Magazine), ou des livres d’histoire de l’art qui revisitent à nouveaux frais des questions déjà anciennes, à l’instar de L’Invention du dessin d’enfant d’Emmanuel Pernoud (Hazan). Enfin, les livres d’entretiens constituent aujourd’hui une forme d’écriture qui ne peut pas être considérée comme secondaire, comme le montrent aux Presses du Réel l’anthologie des Entretiens de Chen Zhen et Prise directe, l’ouvrage de Lionel Bovier et Christophe Chérix. Notons aussi, aux éditions du Musée d’art moderne et contemporain (Mamco) de Genève, la traduction des textes de Mel Bochner ou Transpainting, d’Éric de Chassey, sur le travail de Pascal Pinaud. Nous ne sommes donc pas dans le désert. Au cours de ces dernières années s’est confirmé le rôle d’éditeurs comme les Presses du Réel à Dijon, la Lettre volée à Bruxelles, le Mamco à Genève, les Éditions du Regard, et Jacqueline Chambon qui continue. Il faut saluer leur courage et leur obstination, mais ne pas se faire d’illusions, ces livres voient le jour grâce au financement des institutions, aux aides du Centre national des arts plastiques ou du Centre national du livre. Pour un plus large public, il manque peut-être en France un éditeur qui fasse un travail équivalent à celui de Phaidon.

Vous présidez les Archives de la critique d’art, qui viennent de recueillir le fonds de Pierre Restany. Pouvez-vous revenir sur les missions de cette association installée à proximité de Rennes, à Châteaugiron ?
Le rôle des Archives est de réunir et de conserver les archives de critiques d’art, et seulement ce type. Il faudrait un lieu de référence pour les archives d’artistes, même si le Musée national d’art moderne en a déjà réuni un grand nombre. Les Archives de la critique d’art accueillent aujourd’hui une quarantaine de fonds qui, en se complétant, offrent une vue inédite sur l’histoire de l’art des années 1950 à ces dernières années. Les archives officielles ne font pas état des discussions des critiques, de leurs réseaux, des échanges qu’ils ont eus avec les artistes. Ces archives sont donc intéressantes pour la connaissance des critiques, mais aussi de ce que les artistes leur ont écrit ou dit. Le fonds de Pierre Restany est exemplaire, il regroupe tout : sa bibliothèque, ses écrits et ses archives (courriers, dossiers…). Pierre Restany avait de très nombreux échanges internationaux et son fonds apporte une connaissance sur une large partie du monde de l’art contemporain.

Avant de rejoindre l’Institut national d’histoire de l’art, vous avez enseigné à Rennes-II, où s’est créée une MST (maîtrise des sciences et techniques) portant sur les métiers de l’exposition et la médiation culturelle. De Montpellier à Paris-IV, plusieurs universités offrent désormais ce type de formation par le biais de DESS. Comment ces cursus se sont-ils développés, à quel besoin répondent-ils ?
Un certain nombre de ces diplômes ont été mis en place ces dix dernières années, d’abord avec les DESS spécialisés dans la médiation. Cette vague a conduit à la création de la MST de Rennes, consacrée à l’apprentissage des métiers de l’exposition – avec une option Art contemporain et une option Patrimoine –, et à un DESS à Nice. D’une manière générale, ces formations fonctionnent assez bien, leurs étudiants trouvant un emploi rapidement. Depuis, d’autres DESS ont été montés dans des domaines proches, certains sont de nature pratique, d’autres un peu plus théorique comme à Paris-IV et à Paris-X. Ces formations sont importantes, mais elles se retrouvent face à un paradoxe. La refonte de l’université et la mise en place des mastères vont mettre fin aux petits effectifs, quand le nombre de postes à pourvoir chaque année reste limité. Il est beaucoup plus efficace de faire une promotion de dix à vingt élèves et de les sortir rapidement du système éducatif plutôt que d’en recevoir cinquante qui passeront d’un diplôme à l’autre avant d’oser affronter la vie professionnelle.

La création d’une agrégation en histoire de l’art est un sujet régulièrement discuté. Êtes-vous favorable à sa création ?
C’est un peu un serpent de mer. Dans l’absolu, l’intégration d’un enseignement d’histoire de l’art dans le secondaire est très importante. C’est ainsi le cas dans un pays comme l’Italie. En France, on apprend à lire un texte, mais pas à lire une image. Là, l’intervention de l’histoire de l’art serait utile. Mais faut-il instituer une agrégation ? Les historiens de l’art en veulent-ils ? S’ils l’avaient vraiment voulu, elle existerait déjà. À leur décharge, depuis trente ans, les départements d’histoire de l’art ont formé des milliers de professionnels, aujourd’hui en poste dans des institutions culturelles. Ils l’ont fait avec efficacité et au prix d’efforts importants. La discipline n’est pas dotée d’effectifs pléthoriques ni de moyens exceptionnels, alors que son enseignement est coûteux. La mise en place d’une agrégation n’aurait de sens que si elle était vraiment dotée de moyens financiers et humains. Une agrégation au rabais n’aurait aucun intérêt.

Le projet de l’antenne du Centre Pompidou à Metz progresse, avec le choix de son équipe d’architectes. Que pensez-vous du principe de cette création ?
Il existe des exemples, la Tate Gallery a des antennes à Liverpool et à Saint Ives. En France, il existe déjà de nombreuses institutions consacrées à l’art contemporain ; leur développement et leur diversité doivent maintenant être confortés. Le projet du Centre Pompidou n’est pas non plus une mauvaise chose, mais je ne crois pas que cette création soit extrapolable. Il faut rappeler que, si l’idée de filiales a été développée par le Guggenheim, la RMN l’a également fait au Japon. Ce système est peut-être une illusion, surtout quand on ne se situe pas dans un modèle de financement qui est celui du commerce. Le Guggenheim a des liens directs avec le milieu des affaires, son fonctionnement est issu du monde de l’entreprise. Ses réorientations ont été perçues de manière très controversée par les acteurs du monde de l’art aux États-Unis. D’autres moyens existent d’assurer les missions de diffusion d’un musée. La capacité d’une structure à créer des expositions et à les exporter est tout aussi importante. L’architecture ne pallie pas l’absence de créativité des institutions.

Quelles expositions ont attiré votre attention récemment ?
« Cocteau » au Centre Pompidou. L’exposition rend compte de l’ensemble des médias avec lesquels Cocteau a travaillé, et elle le fait de façon vivante et « visitable », ce qui est une exception pour les manifestations associant du cinéma ou du son avec les arts visuels. En outre, elle s’inscrit dans le travail de redécouverte des travaux « multimédia » qui ont été développés dans la première moitié du XXe siècle. Je crois que l’on n’a pas fini d’explorer ce domaine. J’ai aussi été marqué par l’exposition « Chen Zhen » au Palais de Tokyo. J’ai toujours apprécié le travail de l’artiste, très imaginatif et d’une grande diversité. Ce n’est pas un « art du label ». Il pose de véritables questions tout en donnant de vrais chocs sensibles. Sur ce plan, cette rétrospective est très réussie.

(1) www.archivcriticart.org

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°184 du 9 janvier 2004, avec le titre suivant : Jean-Marc Poinsot, historien de l’art

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