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Patrimoine

Hôtels de l’État à vendre

La vente des bijoux de famille continue

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 28 février 2012 - 805 mots

En attendant la création éventuelle du Haut conseil du patrimoine, organe censé se prononcer sur la valeur culturelle d’un bien promis à la vente, l’État poursuit ses cessions immobilières. Ainsi l’agence France Domaine vient-elle de mettre en vente quatre hôtels particuliers, sis dans le 7e arrondissement de Paris, dont elle espère obtenir 250 millions d’euros.

PARIS - Il y a quelques mois, le ministère de la Culture se vantait de soutenir une proposition de loi relative au patrimoine monumental de l’État qui visait, notamment, à assortir les cessions immobilières de précautions. Aujourd’hui, alors que le Haut conseil du patrimoine prévu par cette même loi – toujours bloquée dans les arcanes du Parlement – n’a pas pu être créé, les ventes immobilières à la hussarde se poursuivent. Comme l’a révélé Le Figaro dans son édition du 13 février, quatre nouveaux hôtels particuliers parisiens seront mis à la vente par l’État courant mars. Et non des moindres. Tous situés dans le prestigieux 7e arrondissement de la capitale, les biens concernés sont l’hôtel de Vogüé, qui abritait jusqu’à présent le Conseil d’analyse stratégique – remarquable ensemble de la Belle Époque –, l’hôtel de Clermont, immeuble du XVIIIe siècle hébergeant le ministère des Relations avec le Parlement, l’hôtel de Mailly-Nesle, élevé quai Voltaire, anciennement occupé par la Documentation française et enfin, l’hôtel de Broglie, situé rue Saint-Dominique. La valeur intrinsèque de ces biens est évidente, la recette attendue étant estimée à 250 millions d’euros.

Cette annonce discrète a toutefois fait bondir la sénatrice centriste de la Marne, Françoise Férat, rapporteur de la proposition de loi sénatoriale en question. Celle-ci s’était en effet lancée dans la rédaction d’un épais rapport censé déboucher sur l’adoption rapide d’un texte de loi visant à éviter ce genre de dérive. L’affaire de l’hôtel de la Marine avait en effet scandalisé une frange de parlementaires de tous bords. Fruit d’un long travail, qui aurait dû être mené par le ministère de la Culture, le texte, présenté conjointement avec le sénateur Jacques Legendre qui était alors président de la commission des Affaires culturelles du Sénat, prévoyait donc la création d’un Haut conseil du patrimoine chargé de se prononcer sur la valeur culturelle d’un bien ; cela avant sa mise en vente par France Domaine, l’agent immobilier public de l’État. En d’autres termes, des « sages du patrimoine » – parlementaires mais aussi membres de l’administration et personnalités indépendantes – auraient pu émettre un avis défavorable avant qu’un bien de valeur patrimoniale ne soit mis en vente. Las ! Le texte, qui avait pourtant fait consensus au Sénat, a été soigneusement détricoté par les députés. Et le changement de majorité sénatoriale a achevé de le tuer dans l’œuf pour cause de « réaction épidermique des sénateurs de gauche ». « Le retour au Sénat a été désastreux et la seconde lecture est aujourd’hui bloquée », déplore Françoise Férat, qui a démissionné en novembre 2011 de son poste de rapporteur sur le texte pour dénoncer ces manœuvres politiciennes. « Et pendant ce temps, l’État continue, lui, d’avancer et de vendre des biens. » Aujourd’hui, les transactions menées par France Domaine ne sont en effet contrôlées que par une « Commission pour la transparence et la qualité des opérations immobilières de l’État », modifiée par décret le 10 février dernier, sans prise en compte de la dimension culturelle, aucun représentant du ministère de la Culture n’y siégeant. Dans un communiqué du 21 février dénonçant ces cessions de trop, Françoise Férat a donc vivement réagi à cette nouvelle annonce : « Je regrette que l’on brade ainsi notre patrimoine sans savoir ce qu’il va devenir. C’est de la vente de morceaux de l’histoire de notre pays dont on parle. Je ne m’oppose pas à la vente de notre patrimoine, je demande que la vente et le devenir de ces bâtiments soient encadrés. » Elle s’étonne encore de l’absence totale de réaction, notamment du côté de la Rue de Valois. « Une de mes premières actions, après le 7 mai, sera d’aller en parler au nouveau ministre », poursuit la sénatrice. Car les cas scandaleux commencent à s’accumuler sur le bureau d’un ministre de la Culture qui reste aux abonnés absents : hôtel Kinsky, hôtel de la Marine – dont le sort reste encore très incertain –, terrains du domaine historique de Versailles et du parc national de Saint-Cloud… et maintenant ces quatre hôtels. Cela pour des cessions menées dans une transparence qui laisse songeur. Le site Internet de France Domaine ne distille en effet que des informations très parcimonieuses et les prix de vente ne sont jamais rendus publics. Pas sûr que, dans quelques années la Cour des comptes ne vienne pas donner un carton rouge à cette politique immobilière de l’État. Entre-temps, quelques-uns des bijoux de famille du patrimoine public auront pourtant bel et bien été mis au clou.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°364 du 2 mars 2012, avec le titre suivant : Hôtels de l’État à vendre

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