Haute époque, fleuron de Maastricht

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 27 février 2008 - 1321 mots

Cette spécialité est l’un des points forts de la foire
- Sélection d’un florilège d’émaux,
d’objets en ivoire, de sculptures, d’enluminures...

Avec une quinzaine d’exposants, la section « Haute Époque », courant de l’art du haut Moyen Âge aux productions de la Renaissance, reste l’un des points forts de Tefaf Maastricht. Elle attire chaque année les représentants des plus grandes institutions internationales ainsi que les collectionneurs chevronnés, qu’ils soient amateurs de la statuaire romane, de la sculpture gothique ou de bronzes Renaissance ; qu’ils soient férus d’objets liturgiques en métal, bois doré, ivoire ou émail, d’orfèvrerie ou d’objets de  Kunstkammer. Participant pour la première fois, la galerie belge Bernard Descheemaeker présentera notamment un rare ensemble d’émaux, sa grande spécialité. Sans oublier les livres enluminés consacrés par les galeries Heribert Tenschert à Rotthalmünster (Pays-Bas), Bibermühle à Ramsen (Suisse), Jörn Günther à Londres ou Les Enluminures à Paris.

Saint Jean, cuivre champlevé, émaillé et doré, Basse-Saxe (Allemagne), fin du XIIe siècle, 13 x 6 cm. Galerie Brimo de Laroussilhe, Paris. Prix : autour de 100 000 euros
Cette plaque en émail champlevé représentant saint Jean devait orner le côté d’un autel portatif ou d’une châsse. « La gamme de couleurs, où dominent différents bleus, le traitement soigné du visage, l’attitude de trois quarts du personnage rendue de manière approximative, permettent de rattacher cette plaque en émail champlevé à l’art de Basse-Saxe de la deuxième moitié du XIIe siècle », précise la galerie. Les musées de New York (Metropolitan Museum of Art), Chicago (Art Institute), Baltimore (Walters Art Gallery, [Maryland]), St.-Louis (City Art Museum [Missouri]) et Hanovre (Kestner-Museum) conservent d’autres plaques en émail champlevé d’une facture similaire, de mêmes dimensions, avec des trous de fixation aux mêmes endroits. Elles représentent d’autres disciples du Christ (Pierre, Simon, Judas, Jacques, Philippe) et proviennent sans doute d’un même autel portatif ou d’un même reliquaire.

Le Nain Morgante, atelier de Jean de Bologne, fin XVIe siècle-début du XVIIe siècle, Florence (Italie), bronze, hauteur : 13 cm, socle en marbre plus tardif. Provenance : acquis par Alfred Beit en 1904. Galeries Blumka, New York, et Julius Böhler, Starnberg (Allemagne). Prix : 180 000 euros
Morgante était le célèbre nain figurant à la cour des Médicis au XVIe siècle. Par ses bouffonneries, il amusait beaucoup le duc Cosme Ier. Il est représenté nu tenant un instrument à vent appelé cornetto dans sa main droite, et une canne dans sa main gauche. Il existe une variété de répliques de ce personnage grotesque et burlesque que l’on peut classer en deux grandes catégories. La première montre Morgante en Bacchus, un gobelet de vin dans la main droite et du raisin dans l’autre. La seconde le représente jouant du cornetto, telle cette version d’une très belle qualité de fonte et de patine. D’autres exemples du fameux nain au cornetto sont conservés dans plusieurs institutions, à l’instar du Musée du Louvre, à Paris, et du Musée national du Bargello à Florence (Italie). Cette statuette, adjugée 57 600 livres (76 300 euros), faisait partie de la collection Beit de bronzes italiens de la Renaissance, dispersée le 7 décembre 2006 à Londres chez Christie’s.

Livre d’Heures, en néerlandais, Utrecht, Pays-Bas, vers 1430, quatre miniatures à pleine page et une initiale historiée par l’atelier ou les précurseurs des Maîtres de Zweder Van Culemborg, 14,7 x 10,5 cm. Les Enluminures, Paris. Prix : 115 000 euros
Les Maîtres de Zweder Van Culemborg comptent parmi les principaux enlumineurs œuvrant à Utrecht de 1415 à 1445. Ils furent influencés par les réalisations de l’enluminure française du début du XVe siècle ainsi que par l’œuvre de Jan Van Eyck. Les présentes Heures sont à rapprocher des précurseurs des Maîtres de Zweder Van Culemborg, ou encore des premières réalisations desdits Maîtres. Les intérieurs dépouillés sont dénués de profondeur et les paysages ne présentent pas la luxuriance qui caractérisera les réalisations ultérieures. Évoquant le style du gothique international, une douceur et une harmonie se dégagent de ces miniatures, avec des détails tels les boucles de la chevelure de l’ange Gabriel dans l’Annonciation, le doux visage de Jean dans la Crucifixion et les barbes fleuries des apôtres dans la Pentecôte. « Entièrement rédigé en néerlandais, le texte contenu dans ces Heures reprend la traduction de Geert Groote (1340-1384), fondateur et chef de file du mouvement connu sous l’appellation de “Devotio Moderna”, ou “Dévotion moderne”, explique la galerie. Ce mouvement pieux de réforme encourage les croyants à imiter le Christ, alliant vie active et contemplation. Pour ce faire, les croyants devaient comprendre ce qu’ils lisaient et entendaient, d’où l’importance des traductions en langue vernaculaire. Si Groote ne fit jamais sécession avec l’Église catholique, malgré le caractère radical de son engagement, Erasme et Luther étaient tous deux scolarisés dans des établissements de la Devotio Moderna. On trouve des livres d’Heures en langue française, des exemples en langue italienne ou certains avec des passages non négligeables en moyen anglais, mais les Pays-Bas demeurent la seule région où la rédaction en langue vernaculaire constituait la norme plutôt que l’exception. Ainsi, ce manuscrit présente un intérêt textuel doublé d’un intérêt artistique certain. »

La Messe de saint Grégoire, albâtre, Nottingham, Angleterre, XVe siècle, traces de polychromie, 42 x 28 cm. Galerie Bresset, Paris. Prix : 58 000 euros
Au cours du XIVe siècle, la production de relief en albâtre devient une spécialité des ateliers anglais. À partir de 1370, ces panneaux rectangulaires composés de figures à haut relief sont réalisés à grande échelle, avant d’envahir toute l’Europe continentale au XVe siècle. Les thèmes principaux de ces albâtres regroupés en retables sont la Passion du Christ et l’histoire de la Vierge. Plus rare est ce sujet illustrant la messe de saint Grégoire. Alors que ce dernier dit la messe, un des disciples avoue ne pas croire en la présence réelle du Christ dans l’hostie. À la demande du pape, le Christ lui-même apparaît sur l’autel entouré des symboles de la Passion et montrant les stigmates. Dans ce relief, le cardinal tient la tiare papale derrière saint Grégoire. « Francis Cheetham, spécialiste de cette production, mentionne seulement sept albâtres avec cette iconographie dans son livre English Medieval Alabasters publié en 1984, indique la galerie. Comme l’explique Cheetham dans son ouvrage de référence, cette production constitue un des principaux héritages de la sculpture anglaise de la fin du Moyen Âge, car, ayant été largement exportée au XVe siècle, elle n’a pas pu être détruite lors de la Réforme. De nombreux exemplaires ont survécu en Europe, notamment dans le sud-ouest de la France, autour de Bordeaux. »

L’Adoration des Mages, « Baiser de Paix », par Monvaerni, émaux polychromes peints sur cuivre doré, Limoges, vers 1484-1495, 10,4 x 7,5 cm. Provenance : Collection Rosenberg, 1909. Galerie Bernard Descheemaeker, Anvers, Belgique. Prix : 110 000 euros
La technique de l’émail peint est développée à Limoges sous le règne de Louis XI. C’est à cette époque que travaille un artisan émailleur désigné aujourd’hui sous le nom de « prétendu Monvaerni » et qui semble être le premier artiste à avoir traité l’émail comme de la peinture. Il eut l’idée de tracer sa composition en noir sur une couche opaque d’émail blanc avant de la couvrir d’émaux polychromes. Il obtient ce trait noir en grattant une couche de blanc pour faire apparaître une couche noire inférieure.
Cette rare plaque du prétendu Monvaerni représentant L’Adoration des Mages est un objet liturgique appelée « Baiser de Paix » ou « Pax ». On ne connaît que cinq autres plaques similaires, conservées au Musée de Cleveland (Ohio), à l’Institut Courtauld à Londres, au Walters Art Museum à Baltimore (Maryland) et au Musée de l’Évêché à Limoges. « Il s’agit d’une redécouverte car on avait perdu trace de cette plaque depuis sa vente aux enchères à l’occasion de la dispersion de la collection Rosenberg en 1909, rapporte Bernard Descheemaeker. Ce chef-d’œuvre merveilleux, d’une absolue rareté, aux coloris exquis et qui a été préservé dans un état exceptionnel, trouve tout naturellement sa place à Tefaf. »

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°276 du 29 février 2008, avec le titre suivant : Haute époque, fleuron de Maastricht

Tous les articles dans Actualités

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque