Giacometti passe en force

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 11 octobre 2002 - 889 mots

La vente Giacometti qui s’est déroulée le 28 septembre à Drouot, et non dans les locaux de Christie’s, a connu un énorme succès. Vingt-quatre bronzes, uniquement des tirages postérieurs à la mort de l’artiste, sont partis pour des montants dépassant largement les estimations, soit un total de 8,3 millions d’euros. La vente en a même été quelque peu bousculée.

PARIS - La vente des sculptures d’Alberto Giacometti provenant de la succession de la veuve de l’artiste, initialement organisée par Christie’s, a finalement eu lieu le 28 septembre, mais à l’hôtel Drouot, sous le nom et le marteau de Me François de Ricqlès, commissaire-priseur judiciaire. Les chambres nationale et parisienne des commissaires-priseurs judiciaires avaient entrepris une action en justice un mois auparavant afin d’interdire la vente qui, selon eux, dépendant d’une succession, relevait de leur monopole (lire le JdA n° 155, 27 septembre 2002). Un jugement le 25 septembre de la première chambre du tribunal de grande instance (TGI) de Paris empêchant la société commerciale française Christie’s de procéder à la dispersion des objets leur donnait raison. Mais, trois jours avant la vente, “pour ne pas porter préjudice à la succession Annette Giacometti et au marché de l’art”, Dominique Ribeyre, président de la Compagnie des commissaires-priseurs de Paris, et François Curiel, président de Christie’s France, sont parvenus à trouver un terrain d’entente pour que cette vente attendue par de nombreux professionnels et collectionneurs du monde entier ait bien lieu à la date prévue.

Une totale “déchristisation”
Il fut donc convenu que les objets seraient vendus le jour annoncé à Drouot-Richelieu par François de Ricqlès, vice-président de Christie’s France et commissaire-priseur judiciaire. Mais ce serait sous ce dernier titre qu’il dirigerait les enchères, et sous la surveillance de Dominique Ribeyre. L’exposition qui avait démarré dans les locaux de Christie’s fut immédiatement fermée, les bronzes, déménagés dans la foulée à Drouot et le catalogue de vente de l’auctioneer, retiré. Le nom de Christie’s ne devait plus apparaître nulle part. Une simple plaquette avec la description des 36 lots fut rapidement éditée sur laquelle était mentionnée une “Vente judiciaire aux enchères publiques, à la requête de son administrateur provisoire Me Hélène da Camara”.

On pouvait également lire le nom de la SCP de Ricqlès, domiciliée 9, avenue Matignon, l’adresse parisienne de Christie’s ! Le soir de la vente, dans une salle comble de 400 places, toute l’équipe de Christie’s était venue prêter main forte au commissaire-priseur qui a lancé d’un air amusé : “La SCP de Ricqlès a emprunté un peu de personnel.” Les trente-six téléphones en place ont lutté contre la salle. Tous les lots sont partis bien au-delà de leur estimation. Mais une partie du public fut surprise et déçue lorsque François de Ricqlès arrêta sa vente au lot 24, privant le marché d’un tiers des pièces promises. Apparemment, tout le monde n’était pas au courant des conditions de déroulement de cette vente judiciaire. Or cette dispersion avait été ordonnée par autorité judiciaire pour un montant fixé de 6 millions d’euros. Cette somme (plus les frais) ayant été atteinte après vingt-quatre enchères, l’administrateur de la succession a décidé que les douze objets suivants devaient regagner la succession. Si un certain nombre d’enchérisseurs potentiels s’est senti frustré, les acquéreurs des vingt-quatre bronzes ont bénéficié de frais allégés de 10,764 % (soit le tarif réglementé dans le cadre de ventes judiciaires) au lieu des 20,93 % supportés sur les premiers 110 000 euros chez Christie’s. En quarante-cinq minutes, les vingt-quatre bronzes ont rapporté 8,3 millions d’euros frais compris. Les prix ne sont jamais autant montés pour des fontes posthumes. Le meilleur prix revient à La Cage, première version, conçue en 1950 et fondue en 1990, qui s’est envolée à 1,744 million d’euros, le double de son estimation haute. Elle a été acquise par le célèbre marchand suisse Ernst Beyeler. “Giacometti, c’est la perle de la sculpture, s’est enthousiasmé à l’issue de la vente Jussi Pylkkanen, directeur international du département impressionniste et moderne chez Christie’s. On aurait eu les mêmes bons résultats à Londres ou à New York.” “Il faut préciser qu’il s’agit de bronzes originaux et non de rééditions. Ces pièces n’ont jamais été tirées du vivant de l’artiste, souligne Thomas Seydoux, directeur du département Art moderne de Christie’s France. Et du fait de la rareté des bronzes anciens de Giacometti sur le marché, il n’est donc pas étonnant qu’il y ait un resserrage des prix. La qualité des patines et la provenance ont fait le reste.” Pour François de Ricqlès, “les résultats atteints s’expliquent par le marketing international dont a bénéficié cette dispersion”. La grosse machine aux enchères Christie’s a en effet déployé tout son arsenal dans la promotion mondiale d’une vente... qu’elle n’a finalement pu officiellement conduire.

Quand l’Association s’en mêle...

Classée "vente judicaire" et délocalisée de Christie’s à Drouot, la vente Giacometti a failli ne pas avoir lieu pour un tout autre motif : l’Association Alberto et Annette Giacometti avait demandé au Tribunal de Grande Instance de rétracter l’ordonnance du 21 février 2002 autorisant Mme Da Camara à procéder à la vente d’œuvres de la succession d’Annette Giacometti pour un montant de 6 millions d’euros. L’association accusait Mme Da Camara d’avoir présenté au tribunal "des comptes contestables" afin "d’arriver à un total de frais prétendument exigible" de près de 6 millions d’euros. Le Tribunal a finalement confirmé l’autorisation de la vente Giacometti.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°156 du 11 octobre 2002, avec le titre suivant : Giacometti passe en force

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