Garouste et Bonetti toujours insolites

L'ŒIL

Le 1 juin 2000 - 593 mots

Il n’y a plus qu’eux en France pour être aussi iconoclastes. Aussi drôles et poétiques. Leur emphase reste délicieusement théâtrale, jamais ridicule. Cela fait 20 ans qu’ils agacent, et leurs pirouettes auraient dû nous lasser. Au contraire, avec le temps, on s’aperçoit que l’on a besoin de leur extravagance et de leur fraîcheur. On croyait Garouste et Bonetti volages, on les découvre fidèles à leur insolence. On les dit maniérés, tarabiscotés, ils sont seulement éclectiques et font feu de tout bois. Leur source d’inspiration reste la nature avec ce qu’elle a de plus naïf (la marguerite) et de plus grotesque (le cendrier-tortue). Une nature déclinée en courbes et rondeurs, en asymétries déhanchées, en boursouflures chaloupées. Aujourd’hui les menhirs sont moins présents, mais le corail, la nacre, les perles et surtout les gemmes, taillées et surdimensionnées, sont récurrents. Le coquillage est toujours roi et les branches, les bourgeons, les feuilles prolifèrent, sans oublier les champignons. Beaucoup de fleurs aussi, surtout dans les bijoux en fer édités par la société Best Friends en Allemagne et montrés récemment à Paris par Naila de Monbrison. Rien n’arrête leur goût pour l’inattendu. Sans complexes ni états d’âme, ils revisitent les époques comme ils visitent des paysages. N’ayant comme unique idéologie que de suivre leur instinct, ils s’abandonnent, non sans un brin de perversion, à la jubilation d’une réappropriation de l’histoire des arts décoratifs, et même parfois du design. Ils piochent allègrement dans l’imagerie collective de l’art préhistorique ou gothique, rococo ou néoclassique, passant de l’Arte Povera à Matisse, du Pop Art à l’art des Scythes, de Watteau à l’Art Nouveau, de Brancusi à Buren. Ils favorisent l’artisanat du bricolage et du rapiéçage, de la marqueterie en trompe-l’œil et du patchwork... Ils mettent en avant, en sus de leurs habituelles méthodes de débrouillardise et d’ingéniosité, tous les savoir-faire traditionnels. Ainsi le bronze est noirci, poli ou doré, le fer forgé est trituré comme s’il était sculpté, l’or est passé à la feuille, patiné en blanc, argenté, matifié, satiné... Les terres cuites ont leur faveur, vernissées ou émaillées.
Pour les mêmes raisons qui les font privilégier le bizarre et l’insolite, ils marient les contraires et opposent les contrastes : le rugueux, le touffu, le ligneux s’acoquinent au cristal de roche lisse, à la laque de glace, aux résines policées. Ils raffolent des socles, des abat-jour de soie ivoire, des franges et des pampilles, des ferrures et des moulures, des poufs et des chauffeuses, des torchères et des escarpolettes... Le décalage devient décor, et le décor se fait métaphore. À travers ces hybridations, ces télescopages et ces collusions, Garouste et Bonetti nous racontent des histoires. Ils ont inventé le meuble-récit. Saltimbanques de la décoration, ils touchent à tout. Des produits cosmétiques acidulés pour Nina Ricci à du mobilier méditerranéen pour la Fondation Hydra en Grèce, des commandes publiques du Mobilier national à celles privées faites par l’intermédiaire de la galerie Néotu à Paris ou David Gill à Londres, d’un tramway bleu ciel couvert d’hirondelles demandé par Alsthom pour Montpellier à la carafe de Ricard. Grâce à leur audace et leur outrance, Garouste et Bonetti parviennent à leurs fins : tuer le bon goût. Ils ont curieusement en commun avec les modernistes d’antan d’avoir en horreur le goût bourgeois. Ils affichent alors avec effronterie, à travers leurs récits abracadabrants et leurs pastiches, un hédonisme rayonnant et affirment la supériorité du paradoxe et de la dérision comme seule philosophie possible.

PARIS, galerie Néotu, 8 juin-14 juillet. À lire : Pierre Staudenmeyer, Nadia Croquet et Laurent Le Bon, Garouste et Bonetti, éd. Dis Voir.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°517 du 1 juin 2000, avec le titre suivant : Garouste et Bonetti toujours insolites

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