François de Mazières : « La Cité arrive à point nommé »

Président de la Cité de l’architecture et du patrimoine, François de Mazières revient sur la genèse du projet et les difficultés à marier des entités diverses, de l’art roman aux créations les plus contemporaines

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 20 juillet 2007 - 1087 mots

VERSAILLES

Enarque, inspecteur général des Finances et ancien conseiller pour la Culture et la Communication du Premier ministre Jean-Pierre Raffarin (2002-2004), François de Mazières est actuellement maire adjoint chargé de la culture à Versailles et président de la Cité de l’architecture et du patrimoine, à Paris. Il répond à nos questions.

La Cité de l’architecture et du patrimoine sera, avec ses 23 000 m2, « le plus grand musée d’architecture du monde ». Qu’en pensez-vous ?
En surface, c’est vrai. Mais si on réduit la Cité à un concours de mètres carrés, ce n’est pas très passionnant. La Cité est un outil culturel qui a une vocation du type du Centre Pompidou. Elle s’adresse aussi bien au grand public qu’aux professionnels. C’est un bâtiment pluraliste avec une « entrée » traditionnelle, le patrimoine, et une « entrée » plus contemporaine, l’architecture actuelle. Il y a trois départements (musée, école, centre d’architecture) avec à leur tête pour chacun un directeur. Chaque entité possède sa propre marge de manœuvre, à l’intérieur de cette unité générale qu’est la Cité.

En théorie, le fonds se déploie du XIIe siècle jusqu’à aujourd’hui. Or il existe une rupture chronologique pour les XVIIe et XVIIIe siècles, étonnamment absents des collections alors qu’il s’agit d’une période « flamboyante » de l’architecture française. Le projet culturel n’en est-il pas considérablement affaibli ?
Vous avez tout à fait raison, mais c’est l’héritage des collections. Encore que le XVIIIe siècle ne soit pas totalement absent, même si, proportionnellement, en termes de volume, il n’est effectivement pas très important. C’est l’une des difficultés du projet. Notre idée est de compenser cette lacune par des expositions temporaires ; ce sera le cas cet automne avec l’exposition « Vauban, bâtisseur du Roi-Soleil », programmée à l’occasion du tricentenaire de sa mort.

Quelle est la valeur réelle de la collection de moulages en plâtre du Musée des monuments français ? N’apparaît-elle pas obsolète en regard d’un outil comme Internet ?
Les moulages sont des œuvres en elles-mêmes. Techniquement parlant, c’est un travail incroyable que de reproduire en plâtre le portail de la cathédrale de Chartres ou celui de Moissac (Tarn-et-Garonne). Ce sont des chefs-d’œuvre qui dégagent une puissance incroyable. Chaque pièce est un morceau d’anthologie. On peut y lire l’évolution de la statuaire, comprendre les transitions entre les styles. En outre, ces représentations grandeur nature sont fascinantes. Les visiteurs sont stupéfaits par leurs dimensions. L’impression physique est saisissante, voire magique. Ce reproche d’obsolescence pourra d’autant moins être adressé qu’à côté de ces moulages seront installés des supports multimédia. Nouvelles technologies et moulages pourront ainsi dialoguer.

Le chantier de la Cité, qui a été supervisé par l’Établissement public de maîtrise d’ouvrage des travaux culturels (ÉMOC), a subi de multiples retards. Pourquoi ?
Ces retards ont plusieurs raisons. À l’origine, en 1993, le projet consistait en [la création d’]un « Centre national du patrimoine ». Puis le projet a connu un élargissement, pour englober l’Institut français d’architecture. Cette transformation a ralenti les travaux. En outre, le projet dessiné par l’architecte Jean-François Bodin a évolué. J’ai ainsi refusé un grand escalier central qui « coupait » en deux le bâtiment et lui faisait perdre de sa puissance. Enfin, à l’époque où Jean-Jacques Aillagon était ministre de la Culture, des doutes très sérieux ont pesé sur le projet. Le chantier a même été arrêté. Travailler à l’intérieur d’un monument historique est plus difficile que de construire un nouvel édifice.

La Cité n’a-t-elle pas souffert à un moment donné de l’absence d’un « parrain » charismatique, qui porte son projet à bout de bras, à l’instar de Jacques Chirac avec le Musée du quai Branly ?
Entre 2002 et 2004, la situation était bloquée, il y avait des difficultés partout. À partir du moment où la nouvelle équipe de la Cité, dont moi-même, est arrivée, en 2004, nous avons obtenu un soutien total du ministère de la Culture. En 2005, Jean-Pierre Raffarin [alors Premier ministre] a visité le chantier et a lui aussi soutenu le projet. Ce dernier est extrêmement difficile, mais il est fort en termes de portée : l’architecture est un projet très démocratique. Le patrimoine est aujourd’hui la première demande des Français, l’architecture contemporaine pas encore. La Cité fait le lien entre les deux. Ce lien est nécessaire pour que nos villes et nos architectures soient intéressantes. À travers des préoccupations tel le développement durable, l’environnement urbain redevient aujourd’hui une priorité, ce qui n’était pas le cas il y a trente ans. La concrétisation du projet de la Cité arrive donc à point nommé.

Certains architectes prônent pour la Cité la gratuité totale de l’accès aux expositions d’architecture contemporaine. Quelle est votre politique tarifaire ?
Nous faisons le maximum en faveur de la gratuité, notamment à travers les galeries d’actualité, qui sont en accès libre. En revanche, les deux galeries d’expositions temporaires sont payantes. Je ne connais pas un établissement public culturel en France qui puisse se permettre une politique de gratuité totale. Une exposition qui coûte un million d’euros, comme c’est le cas de la grande exposition d’ouverture « Avant-après » (lire page 20), financée avec le concours de BNP Paribas Immobilier, n’est pas une petite somme lorsque l’on sait que le budget annuel de fonctionnement total de la Cité s’élève à 14 millions d’euros.

Quelle est la visibilité de la Cité sur le plan international et quels sont vos objectifs de
fréquentation ?

La Cité est très ouverte sur l’étranger. D’entrée de jeu, nous avons voulu lui donner une dimension européenne, d’où cette exposition sur le concours Europan (lire page 20). Nous préparons également pour 2008 une grande exposition sur la Chine, qui aura lieu au moment des Jeux olympiques de Pékin. Nous sommes tous conscients qu’il existe aujourd’hui un déficit en termes de valorisation de l’architecture contemporaine. Ce n’est qu’en parlant davantage d’architecture que l’on pourra créer un phénomène d’engouement. Nous visons la barre des 500 000 visiteurs par an.

Peut-on exposer l’architecture, et si oui, comment ?
L’architecture est difficile à exposer, c’est clair. Mais en même temps, il faut trouver les moyens pour le faire, sinon on constate un déficit par rapport aux autres arts. En outre, il faut le faire pour donner au public le goût de l’architecture. C’est l’un des enjeux de la Cité. Déambuler dans ce lieu qui fait face à la tour Eiffel et où coexistent la fin du XIXe (le palais du Trocadéro de Gabriel Davioud) et les années 1930 (le Palais de Chaillot de Jacques Carlu) est déjà en soi une belle leçon d’architecture.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°255 du 16 mars 2007, avec le titre suivant : François de Mazières : « La Cité arrive à point nommé »

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