Automobile

Fiat lux !

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 24 septembre 2004 - 808 mots

L’artiste James Turrell vient de mettre en lumière le nouveau Centre de design du Groupe PSA Peugeot Citroën.

 VELIZY - Un parking de Vélizy (Yvelines), mardi 14 septembre, peu avant minuit. Assis devant un petit camping-car, l’œil rivé sur un écran d’ordinateur, James Turrell est en train de peaufiner la mise en lumière du tout nouveau Centre de design de PSA Peugeot Citroën, situé juste en face, de l’autre côté de la N118. La nuit est douce et belle. « Lorsque Robert Peugeot [le directeur Innovation et Qualité du Groupe PSA Peugeot Citroën] m’a proposé ce travail, je me suis demandé comment éclairer un bâtiment aussi long – 220 m –, explique l’artiste californien. Essayer d’être sensible avec un édifice de cette taille, c’était pour moi comme caresser un éléphant ! » Dans le sens du poil, semble-t-il, car Turrell a joliment dompté la bête. Il explique : « Je suis parti des trois couleurs primaires – rouge, vert, bleu –, puis, comme un musicien, j’ai construit des thèmes : une couleur unie sur l’ensemble du bâtiment, des nuances qui distinguent les différents étages, d’autres qui se modulent horizontalement de bas en haut, enfin, des couleurs qui varient verticalement. » Turrell a aussi pensé en fonction des différents plans du bâtiment – proches, lointains – et des matériaux – béton, verre. En mixant thèmes et couleurs primaires, il a obtenu une palette de quelques milliers de nuances, laquelle conserve néanmoins quelques mystères. Chez lui, par exemple, bleu plus jaune égalent… blanc.
Sur l’écran de l’ordinateur, la façade est décomposée en pixels, et chaque fois qu’une donnée est modifiée, une antenne Wi-Fi la répercute en temps réel. Soudain, sur l’édifice, les couleurs dansent. Le cycle dure trois heures trente minutes, en boucle.
« Aujourd’hui, regrette James Turrell, on utilise une lumière électrique trop forte. À l’intérieur, les gens sont blancs, comme des masques mortuaires. À l’extérieur, les bâtiments sont violemment éclairés. Moi, je préfère, au contraire, travailler sur la modulation de la lumière. » D’où l’utilisation d’un nouveau néon muni d’un convertisseur numérique – conçu par la société française Feerick –, qui permet de subtiles variations (de 1 % à 100 %) sans aucune vibration de lumière. En tout, 1 880 tubes ont été répartis dans et sur le bâtiment. Turrell a même imaginé quelques « animations spéciales », tel un éclairage pour Noël et un autre pour la fête nationale avec, comme il se doit, les trois couleurs primaires de la République : bleu-blanc-rouge.
« Comme beaucoup de gens, j’aime l’architecture, souligne Turrell, mais j’aime aussi la vie secrète des bâtiments, celle qui jaillit la nuit, lorsqu’ils sont vides. Je rêve même que, pendant la nuit, les édifices discutent entre eux. Je suis convaincu qu’ils ont des secrets qu’ils ne livrent qu’une fois le jour tombé. » Ce soir-là, le bâtiment n’a pas révélé le coût de son œuvre, mais a fait deux confidences. Et les murs avaient des oreilles. Jean-Pierre Ploué, responsable du Style chez Citroën, a dit avoir « finalisé le prototype qui sera appelé à être la nouvelle… DS », lequel devrait être dévoilé à la mi-2005. En outre, il a évoqué le désir du groupe « de mettre davantage encore l’accent sur l’éclairage intérieur des véhicules », prenant exemple de la C-Airlounge, présentée l’an passé au Salon de Francfort, dont l’habitacle est truffé de fibres optiques et de vidéoprojecteurs. De là à imaginer que le maître Turrell pourrait lui aussi être consulté, il n’y a qu’un pas. D’autant que ce dernier, ex-aviateur chevronné jadis propriétaire d’une DS19 et d’une SM, s’y connaît en mécanique, comme le fait remarquer Robert Peugeot : « Quand on lui parle d’ABS, de cylindre ou de piston, il y comprend quelque chose. C’est tout ce qu’on aime ! »
L’inauguration officielle, le 7 octobre, pendant le Mondial de l’automobile de Paris (1), de ce Centre de design dessiné par le cabinet Ripault-Duhart – 70 000 m2 pour un coût de 130 millions d’euros – et de l’œuvre de Turrell apparaît déjà comme un événement. « Nous sommes assez fiers de ce bâtiment, affirme Robert Peugeot, et nous avons voulu, en quelque sorte, le signer. J’ai pensé à James Turrell qui, pour moi, est l’un des grands créateurs contemporains actuels. »
L’art et l’architecture main dans la main au service de la communication du Groupe PSA Peugeot Citroën ? Avec néanmoins un atout de poids pour le premier, selon Turrell : « L’avantage, avec mon travail, c’est que si vous n’aimez pas, vous pouvez toujours éteindre ! »

(1) Le Mondial de l’automobile a lieu du 25 septembre au 10 octobre, porte de Versailles, 75015 Paris, tlj 10h-22h, rens. : www.mondial-automobile.com
Par ailleurs, deux œuvres de James Turrell sont visibles jusqu’au 6 novembre à la galerie Almine Rech, 127, rue du Chevaleret, 75013 Paris, tél. 01 45 83 71 90.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°199 du 24 septembre 2004, avec le titre suivant : Fiat lux !

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