Éteins la lumière !

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 27 juillet 2007 - 701 mots

Sous le titre ON/OFF, une manifestation transfrontalière entre le Luxembourg, la France et l’Allemagne prend la lumière pour sujet et emblème. Avec des fortunes diverses

Les longs alignements de boules à facettes « disco » de John M. Armleder – précisément deux rangées de douze unités chacune, éclairées par des projecteurs –, donnent un aspect à la fois clinquant et mélancolique à la verrière du Casino Luxembourg. Visible depuis la rue, Sans titre (2006) constitue un immanquable produit d’appel à ON/OFF, exposition tricéphale explorant la lumière et les liens qui nous y unissent, à la conception de laquelle trois structures issues d’autant de pays ont pris part dans le cadre de « Luxembourg 2007 ».
Alors que le Saarlandmuseum à Sarrebruck, en Allemagne, célèbre la lumière fixe avec des artistes tels Daniel Hausig ou Christina Kubisch, le Casino Luxembourg s’intéresse à celle qui est en mouvement. Dès l’entrée, c’est le Y (2003) de Carsten Höller qui happe le spectateur dans ses arceaux bardés d’ampoules et rutilants, démultipliés par des miroirs qui rendent l’espace infini et bouleversent l’inscription du corps dans l’espace. Illustration du caractère transfrontalier de la manifestation, Tobias Rehberger se contente d’une simple lampe au plafond et d’un interrupteur commandant l’éclairage ou l’extinction d’une pièce similaire à Sarrebruck, et vice versa.

Entre blague et anecdote
Bien que très attractif, l’ensemble ne parvient pas à dépasser la dimension de l’anecdote, voire de la blague un peu lourde. À l’image des enseignes lumineuses aux motifs décalés de Hsia-Fei Chang qui font pâle figure, loin de l’exotisme et de l’imaginaire qu’elles prétendent incarner dans l’installation Urumqi (2006). L’ampoule démesurée On/Off (2005) de Lilian Bourgeat, qui ne peut être allumée que par un interrupteur énorme lui aussi, situé dans une autre salle, ne s’en sort pas mieux. Malgré sa taille, ce dernier est rendu inexistant par un bandeau Erlauf (1995) de Jenny Holzer pourtant de dimensions modestes.
C’est sans conteste l’intervention Sans titre (2006) de Peter Kogler qui retient le plus l’attention, portée par un équilibre subtil entre apparition et disparition progressive de motifs de fourmis phosphorescents, rendus à la vie sur les murs grâce à des projecteurs au mouvement sélectif. L’artiste introduit avec finesse la dimension temporelle inhérente à la lumière.
De son côté, le FRAC Lorraine, à Metz, privilégie la retenue à l’exaltation en traitant l’aspect« off », soit le noir, la pénombre, l’absence de lumière. La proposition est pertinente, mettant notamment l’accent sur les positionnements corporels et les développements sensoriels induits par l’absence ou la privation de lumière. Ainsi, l’époustouflante installation Pursuit (2005) de Steve McQueen, avec des contours devenus flous, bouleverse-t-elle totalement les perceptions, les facultés de déplacements et jusqu’à l’équilibre avec un dispositif pourtant fort simple : une salle rectangulaire tapissée de miroirs au centre de laquelle un écran double face diffuse les cheminements d’un corps que seules des tâches lumineuses rendent perceptible.
Avec l’œuvre sonore La Cécité (1997/2006) plongée dans le noir de Dominique Petitgand, on approche l’imaginaire lié à la nuit, avec ses songes et ses peurs, notamment lorsqu’une femme raconte sa terreur dans le noir et la manière dont l’aveuglement exacerbe ouïe et toucher.
L’importance du son est retrouvée dans la vidéo Lucharemos hasta anular la ley (2004) de Sebastian Diaz Morales comme en négatif et en relief. Une émeute urbaine à Buenos Aires passe du quasi-silence à un inquiétant grondement, qui progressivement semble intervenir sur la texture de l’image.

Sensations exacerbées
Avec David Claerbout, ce sont les mécanismes du regard qui sont à l’étude. Accrochées dans une pénombre absolue, ses deux photographies montées sur des caissons lumineux aux néons recouverts de gélatine noire se révèlent lentement, presque par touches successives. Les paysages de neige qui apparaissent n’en donnent à (perce)voir une nature que plus fantomatique.
Faite d’attractions et de répulsions, cette exposition, profondément humaine tant elle exacerbe sensations et ressentis, interpelle un monde où la nuit est de plus en plus menacée par l’activité. Prouvant en outre qu’éteindre la lumière permet de voir et de rendre visible autrement.

Luxembourg - Commissaire : Enrico Lunghi, directeur du Casino Luxembourg - Nombre d‘artistes : 15 - Nombre d’œuvres : 21 Metz - Commissaire : Béatrice Josse, directrice du FRAC Lorraine - Nombre d‘artistes : 8 - Nombre d’œuvres : 9

ON/OFF, jusqu’au 25 février, Casino Luxembourg, 41, rue Notre-Dame, Luxembourg, tél. 352 22 50 45, www.ca sino-luxembourg.lu, tjl sauf mardi 11h-19h, jeudi 11h-20h, samedi et dimanche 11h-18h ; FRAC Lorraine, 1 bis, rue des Trinitaires, 57000 Metz, tél. 03 87 74 55 02, www.fraclor raine.org, tlj sauf lundi et mardi 12h-19h, jeudi 13h-20h ; Saarlandmuseum, Bismarckstraße 11-15, Sarrebruck, tél. 49 681 996 40, www.saar landmuseum.de, tlj sauf lundi et samedi, 10h-18h, mercredi 10h-22h. Catalogue éditions FRAC Lorraine, Casino Luxembourg, Saarlandmuseum, 216 p., ISBN 2-919893-64-5.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°252 du 2 février 2007, avec le titre suivant : Éteins la lumière !

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