Grande-Bretagne

Essor des locations d’expositions

Par Le Journal des Arts · Le Journal des Arts

Le 1 avril 1994 - 761 mots

Le marché de la location d’expositions contre redevance est devenu rentable. Au départ simple source de revenus supplémentaires, cette pratique tend dangereusement à se généraliser.

LONDRES - Un montant de 8,85 millions de francs, c’est ce que devrait rapporter au Victoria & Albert Museum une série d’expositions qui se tiennent actuellement au Japon, dont la première, "The Arts of the Victorians", a attiré l’an dernier 180 000 visiteurs, et la seconde, "The Arts of the Indian Courts", vient de se terminer au Musée de Kyoto. Au total, ce programme comprendra cinq expositions qui, sur une durée de trois ans, se tiendront dans 20 villes différentes sous l’égide des grands magasins Hankyu et grâce au concours de NHK Media Plan. Pourtant, même si ces 8,85 millions de francs représentent une faible somme comparée aux 283 millions alloués annuellement par le gouvernement, elle n’en demeure pas moins remarquable.

La location d’expositions devient donc un sujet sensible. Les musées nationaux britanniques montrent quelque gêne lorsqu’il s’agit de discuter des détails financiers, répugnant notamment à révéler les bénéfices qu’ils en retirent. Car le Victoria & Albert Museum n’est pas le seul à se montrer ouvert au principe d’expositions contre redevance, puisque la Reine elle-même enverra cette année une trentaine de ses tableaux de maître à l’étranger. La première grande exposition itinérante des collections royales, "The Queen’s Pictures : Old Masters from the Royal Collection", sera présentée à partir de l’année prochaine en Nouvelle-Zélande puis en Australie et au Canada. Un des porte-parole de la collection royale précise que, tous frais déduits, il restera un bénéfice d’un montant qui devrait rester inférieur à 885 000 francs, soit une somme relativement modeste, car les pays destinataires appartiennent au Commonwealth. Mais des expositions plus "lucratives" au Japon et en Amérique pourraient suivre.

De son côté, le Musée Fitzwilliam de Cambridge a organisé, l’an dernier au Japon, une exposition de paysagistes britanniques dont le bénéfice est estimé à 1,32 million de francs. Le conservateur David Scrase admet qu’il n’aime guère cette pratique : "Si le gouvernement nous finançait convenablement, regrette-t-il, nous n’aurions pas à le faire." Christopher White, de l’Ashmolean Museum d’Oxford, avoue, quant à lui, que son musée a reçu une "donation" de 4,42 millions de francs de la Fondazione Memmo pour un prêt de 100 dessins de maîtres anciens exposés en 1992 au Palazzo Ruspoli à Rome et il estime que, "si ces expositions valent la peine d’être faites, ce ne peut être que pour une somme substantielle".

Le National Maritime Museum, qui fondait de grands espoirs sur son exposition itinérante en Amérique "The Great Age of Sail", comprenant 130 chefs-d’œuvre évalués à plus de 265 millions de francs, a du déchanter. L’ensemble a été présenté au Museum of Art de San Diego (Californie), au Chrysler Museum de Norfolk (Virginie), et au Peabody Museum de Salem (Massachussetts). Malheureusement, la redevance dépendait du nombre des visiteurs qui furent moins nombreux que prévu, et le bénéfice retiré de l’opération a à peine dépassé les 300 000 francs.

Pas encore la panacée
En dehors de l’intérêt financier immédiat, ces expositions permettent aux musées de se faire connaître. "Le programme Hankyu, se félicite Gwyn Miles, responsable des collections au Victoria & Albert Museum, a rehaussé notre image de marque au Japon et incite les touristes japonais à venir visiter le musée de Londres. Nous avons étudié de près tous les problèmes relatifs à la location d’expositions, et nous avons conclu que cela en valait la peine." C’est pourquoi, en dehors du programme Hankyu au Japon avec les expositions "British Design at Home" (à partir du 5 avril au Musée d’art moderne de Saytama), puis "European Textiles" et enfin "British Painting 1550-1800", le musée travaille actuellement sur une exposition qui devrait se tenir à Rome en 1998.

Pourtant, de nombreux musées, comme le British Museum, hésitent encore à se jeter à corps perdu dans une grande politique de location d’expositions. Il faut dire que le marché reste encore limité. Les principaux débouchés demeurent uniquement localisés en Amérique et au Japon, même si d’autres ouvertures apparaissent actuellement en Extrême-Orient et en Australie. Bien que ces expositions constituent une source de revenus supplémentaires appréciable, ce n’est visiblement pas encore la panacée. De plus, un grand nombre de conservateurs hésitent à abandonner leur politique traditionnelle de prêts gratuits d’une ou plusieurs œuvres pour des expositions particulières à visées pédagogiques. Mais ce système pourrait inciter certains musées à faire payer le prêt de tout objet de leurs collections. D’où une guerre des prix qui pourrait tuer la poule aux œufs d’or qu’est devenue l’exportation de la culture.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°2 du 1 avril 1994, avec le titre suivant : Essor des locations d’expositions

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