Rencontre

Éric Troncy, commissaire d’exposition sans compromis

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 27 avril 2017 - 1118 mots

Jamais consensuel, parfois controversé, il contribue depuis plus de deux décennies aux destinées du Consortium, centre d’art contemporain dont on célèbre cette année les 40 ans.

DIJON - Éric Troncy s’enthousiasme face au projet du Canadien Alan Belcher, sa dernière production pour le Consortium de Dijon, dont il assure depuis 1996 la codirection. L’exposition peut paraître abrupte : des motifs d’icônes jpeg en céramique, dupliqués et regroupés comme pour rejouer des œuvres multiples – triptyque, séries de dessins… – tout en soulignant le changement de notre rapport aux œuvres et à l’image de par leur circulation accélérée et sans fin. « Le Consortium est un endroit où l’on peut se permettre de faire ça », argue-t-il, défendant par là même la forme de radicalité un rien provocante du projet.

Si la posture du provocateur n’est sans doute pas celle qu’il recherche, il ne fait pas de doute que le personnage aime à se positionner dans les marges à la fois des formes et du discours, quitte à parfois bousculer le consensus feutré par des prises de parole virulentes : « Aujourd’hui je n’ai plus de chapelles et rien à défendre, et surtout pas l’art contemporain. Je ne crois pas que le consensus soit au programme des arts visuels, et mon avis a finalement peu d’importance, donc autant qu’il soit sincère », assène-t-il.

L’un de ses faits d’armes, qui alimenta les conversations pendant de longs mois, se produisit en 2003 lorsqu’il imagina pour la Collection Lambert en Avignon « Coollustre » : un vaste parcours présenté comme une exposition d’auteur avec une signature, à la manière d’un romancier, dont les œuvres très iconiques étaient essentiellement mises en avant pour leur caractère visuel ; ce qui ne fut pas du goût de tout le monde.

Sans véritablement s’en offusquer, Élisabeth Lebovici fit dans Libération du 31 juillet 2003 le constat que : « Plutôt que de parler d’une esthétique, il faut reconnaître qu’il existe un “style Troncy”, un peu comme on parle de western spaghetti. Ce style, déjà reconnaissable à celles et ceux qui ont vu les précédentes expositions signées Troncy ou lu ses chroniques […], est fait d’un grand respect pour l’objet d’art qui présente bien et d’une fascination avouée pour les reality shows et les tournois de célébrités. »

L’intéressé, qui avait intitulé son essai du catalogue La satiété du spectacle, assume, affirmant qu’aujourd’hui c’est dans les revues de décoration qu’on voit finalement le mieux l’art contemporain et que la notion de divertissement qui lui est dorénavant attachée en a profondément modifié le paradigme. « Les œuvres d’art font désormais partie de la vie et ont trouvé leur place dans les magazines, car est devenu populaire ce qui ne l’était pas du tout, les décorateurs s’en sont emparés. Et puis surtout, la question est comment continuer à s’intéresser à cette discipline quand la promesse en a changé ? Dans les années 1970 et 1980 la promesse pour les artistes n’était pas l’argent ni la gloire, or aujourd’hui ce qu’on juge souvent dans une œuvre c’est une qualité de divertissement. C’est une autre logique que celle qui m’a conduit à l’art dans les années 1980. »

Son parcours est rythmé par des études d’histoire de l’art à la Sorbonne, puis à l’École du Louvre, suivies par un passage à l’École des hautes études en sciences sociales avec les enseignements de Raymonde Moulin et Luc Boltanski. C’est en 1985 qu’eu lieu le déclic, lors d’une soirée d’anniversaire en l’honneur de Nathalie Ergino : « Il y avait là beaucoup d’anciens élèves du Magasin [de Grenoble], Pierre Joseph, Dominique Gonzalez-Foerster, Philippe Parreno, mais aussi Florence Bonnefous, Édouard Merino et Esther Schipper. Nous avons alors décidé que nous ne retournerions pas à l’école, mais que nous ferions des choses à l’échelle 1, en devenant artistes, galeristes ou commissaires d’expositions. » En 1988, âgé de 23 ans, il conçoit dans sa ville natale de Nevers son premier accrochage au sein de l’Apac (Association pour l’art contemporain), une association fondée en 1983 par Yves Aupetitallot, dont il reprendra plus tard les rênes ; sous le titre « Fotografen » l’exposition regroupait des photographes de l’école de Düsseldorf tels Thomas Ruff, Candida Höfer ou Bernhard & Anna Blume. Il est également de l’aventure de la revue Documents sur l’art, fondée par Nicolas Bourriaud en 1992, dont il deviendra rédacteur en chef adjoint. Une activité éditoriale poursuivie avec le lancement, en 2005, de Frog, une revue annuelle pour laquelle toutes les photos sont produites « avec l’idée que la photo est déjà un commentaire critique, ce que ne sont pas les photos de presse » et qui assume des textes longs quand partout « les formats se réduisent et que l’on ne fait plus que du survol. »

Conservateur et précurseur
Ce qu’il partage avec les fondateurs du Consortium, Xavier Douroux et Franck Gautherot, lorsqu’il les rejoint en 1996, c’est un goût pour les contrastes – il fallait oser exposer ensemble On Kawara et Alberto Giacometti en 1990 ! –, un regard très international et une attention à l’histoire. « S’il y a un esprit du Consortium, il n’est pas fondé sur une esthétique, mais tiendrait plutôt dans un rapport à l’histoire de l’art, car on ne fait pas n’importe quoi. Et puis, il y a aussi la question de la fidélité et du dialogue avec les artistes : le fait d’avoir fait une exposition une fois ne règle pas le sujet et on peut remontrer le même artiste. » Et de citer Ugo Rondinone, Angela Bulloch, Olivier Mosset, Bertrand Lavier, Claude Rutault ou On Kawara qui, à de nombreuses reprises, ont été conviés.

On pourrait rajouter une manière de humer l’air du temps, qui souvent leur a fait exposer très tôt des artistes devenus plus tard des noms. Installé en 1977 au-dessus d’une librairie alternative, le Consortium a plusieurs fois changé de format. Et la liste pléthorique des quelque 320 expositions organisées dans et hors ses murs révèle notamment que Jenny Holzer et Cindy Sherman y ont exposé dès 1982, Carl Andre, John Armleder et Richard Prince l’année suivante, entre autres. Les Français n’ont pas été oubliés, avec très tôt Daniel Buren et Christian Boltanski, notamment. T, The New York Times Style Magazine ne s’y est pas trompé, qui dans son édition du 21 juin 2016, lui consacrait un article au titre éloquent : « Le musée français hors des radars, qui prédit tranquillement les futures stars de l’art ».

Une reconnaissance mondiale alors que Troncy estime que « beaucoup trop de monde s’intéresse à l’art contemporain pour de mauvaises raisons et [qu’]il faudrait en fermer les portes ». Ajoutant sans appel : « On ne peut pas laisser la logique “trip-advisorienne”régler des questions d’histoire, car sinon cela finit par être l’avis. »

Parcours

1965
Naissance à Nevers.
 
1988
Première exposition à l’Apac, à Nevers.
 
1996
Rejoint le Consortium en tant que codirecteur.
 
2003
Exposition « Coollustre » à la Collection Lambert en Avignon.
 
2005
Lancement de la revue Frog.
 
2007
Expose les photographies érotiques de David Hamilton à la Biennale d’art contemporain de Lyon.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°478 du 28 avril 2017, avec le titre suivant : Éric Troncy, commissaire d’exposition sans compromis

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