Entrez dans le secret des réserves parisiennes

Par Isabelle Manca · L'ŒIL

Le 20 mars 2014 - 1186 mots

Les musées de la Ville de Paris unissent leurs collections sous l’égide de « Paris 1900 », une exposition qui présente au Petit Palais près de six cents pièces en grande partie issues des réserves des établissements. L’occasion idéale de visiter, en exclusivité pour vous, ces lieux inaccessibles.

La visite privilégiée débute au cœur des réserves feutrées des arts graphiques du Petit Palais. Ici les boîtes sagement alignées abritent pléthore de chefs-d’œuvre : des milliers d’estampes, dont un corpus comprenant presque tout l’œuvre gravé de Rembrandt, Dürer et Callot. Encore plus rarement exposés, car particulièrement sensibles à la lumière, les réserves contiennent une foule de pastels. Au hasard des portefeuilles, nous admirons les très belles feuilles signées Gauguin et Redon, mais aussi les sombres fantasmes de Lévy-Dhurmer. À quelques pas de là, une autre salle conserve d’autres trésors, eux aussi bien gardés : les livres précieux.

Derrière les portes de placards, de magnifiques livres d’heures de la Renaissance, des incunables et quelques raretés, à l’image des albums de Gabriel de Saint-Aubin, dessinateur fantasque qui arpentait les salons et les salles de vente de Paris au siècle des Lumières, dessinant tout ce qu’il y voyait. Mais enfonçons-nous plus profondément encore dans les entrailles du bâtiment jusqu’à un labyrinthe de grandes salles semblables à un entrepôt, où l’on devine quantité de sculptures stockées sous vitre, dont l’exceptionnel fonds d’atelier de Dalou – récemment exposé – et ses étonnantes statuettes au modelé nerveux. Les armoires se suivent mais ne se ressemblent pas ; ici des pièces archéologiques, là le bestiaire fantastique du symboliste Carriès. En poussant une lourde porte, d’autres surprises se révèlent : des centaines de tableaux sont accrochés à d’immenses grilles donnant à voir la pluralité de la collection : Ziem, Blanche, Le Sidaner, mais aussi les projets de décor pour les mairies, écoles et églises de Paris, sans oublier les artistes tombés dans le purgatoire de l’histoire de l’art, à l’instar de Lucien Simon.

La nursery de la mode
Changement d’ambiance pour la seconde étape de notre parcours qui nous mène dans les réserves du Musée de la mode de la Ville de Paris, à une adresse gardée secret défense. À des années-lumière du faste du palais Galliera, celles-ci prennent place dans un vaste hangar. Mais il ne faut pas s’arrêter à son allure de clinique – grands espaces aseptisés, personnel en blouse et gants blancs –, ce laboratoire de conservation possède une collection de rêve : près de 100 000 pièces du XVIIIe siècle à nos jours. En pénétrant dans le saint des saints, rien ne laisse pourtant deviner le luxe des œuvres conservées. Le visiteur est immergé dans un dédale de travées métalliques où sont suspendus des milliers de cintres recouverts de housses en coton surplombant des kilomètres de tiroirs. Or, dès que l’on ouvre un tiroir et déballe son contenu, avec une infinie précaution, c’est l’éblouissement assuré, avec l’émotion supplémentaire d’admirer, peut-être pour la seule fois de sa vie, des pièces exceptionnelles et soumises à des conditions d’exposition très restrictives.

Ce site où s’affairent couturières, restaurateurs, régisseurs et photographes possède en effet quelques-uns des fleurons de l’histoire de la mode : ici un habit à la française du XVIIIe siècle, en satin de soie champagne brodé de petites fleurs, et au pedigree prestigieux, là l’habit du jeune Louis XVII, une pièce particulièrement émouvante qui fait écho à une autre relique de l’Ancien régime le corsage de sa mère, la coquette Marie-Antoinette. Autre rayon, autre découverte : une robe vaporeuse supposée avoir appartenu à l’impératrice Joséphine qui, hasard du classement, est stockée juste à côté d’une robe de cour portée par Marie-Louise, la seconde épouse de Napoléon. Chaque époque possède ses pépites, le Second Empire se distingue ainsi par le luxueux manchon en plumes de lophophore de la princesse Mathilde, mais aussi par une pièce d’apparence plus anodine, une robe primesautière qui a eu l’honneur d’habiller George Sand ; un look très loin de celui que l’on connaît de la grande romancière. La tentation est grande d’ouvrir encore d’autres tiroirs, mais cela serait sans fin ; d’autant qu’une autre collection exceptionnelle nous attend pour une visite inédite.

Le charme de Bourdelle
Nous voici à présent au cœur de l’une des réserves les plus charmantes de la capitale, celle du Musée Bourdelle. Avec ses plafonds bas, ses rayonnages en bois et l’accumulation d’objets qui y règne, la réserve possède un cachet authentique et le temps semble s’y être arrêté à l’époque où officiaient les praticiens du sculpteur. On est d’abord saisi par une imposante collection de moules en plâtre, bois et filasse dont l’apparence artisanale tranche radicalement avec les œuvres prestigieuses qui en sont tirées. Après avoir traversé ce couloir, on arrive dans la pièce principale qui renferme les modèles de fonderie, servant à la réalisation des pièces en bronze. Un lieu très poétique qui présente des variations d’échelle déconcertantes, abritant pêle-mêle des pièces de tous formats. Une grande Tête de cheval voisine ainsi avec un Héraclès de petite dimension sous le regard d’une Pénélope flanquée d’énigmatiques jambes de géant. On a tout loisir d’y observer les marques que portent les modèles, sortes de coutures qui rappellent la méthode de fabrication des grandes sculptures, nous plongeant dans l’intimité des chefs-d’œuvre et au cœur du processus créatif du maître des lieux.

Remonter le temps à Carnavalet
Notre parcours s’achève enfin par le doyen des musées municipaux, le Musée Carnavalet. Sous ses combles, nous accédons à un lieu prestigieux, d’ordinaire strictement réservé aux chercheurs, le cabinet des arts graphiques. L’établissement y conserve une exceptionnelle collection de dessins, d’estampes et de photographies, répartie dans d’innombrables boîtes et cartons dont les noms évoquent une classification surannée remontant au XIXe siècle : histoire, topographie, portrait et mœurs. Parmi les feuilles déballées pour nous en exclusivité, nous sommes séduits par la beauté des Tableaux de la Révolution dessinés par Prieur et les feuilles sensuelles de Mucha. Au gré des boîtes ouvertes avec délicatesse par le conservateur des photographies, c’est ensuite l’histoire de la capitale, mais aussi celle de ce médium que nous voyons défiler. Ainsi, après avoir admiré un exceptionnel daguerréotype de 1846 montrant un grand panorama de la Seine, on savoure une autre pièce historique, dont on n’admire normalement que la copie moderne, car l’original est fragile et précieux. Les Boulevards des Capucines et des Italiens de Fox Talbot constituent en effet l’un des plus anciens tirages du musée et l’une de ses icônes.

Le fonds abonde en témoignages sur l’évolution de Paris, notamment les clichés de Marville qui a immortalisé la transformation de la ville sous Napoléon III, dans ses aspects les plus grandioses – les gares, les Halles – mais aussi les plus triviaux. Le photographe a ainsi légué à la postérité une vaste campagne photographique dédiée aux lieux d’aisance, éléments urbains dont il a documenté l’étonnante variété architecturale élevant les cabinets pour dames, urinoirs à stalles ou à écran d’arbustes, à la dignité de monuments historiques. Un surprenant inventaire à la Prévert qui souligne que les collections des musées de la Ville de Paris brillent non seulement par la qualité d’œuvres insignes, mais aussi par des pièces nettement plus insolites.

La mue de Carnavalet

La mue de Carnavalet Le doyen des musées municipaux s’apprête à faire peau neuve. D’ici à 2020, amélioration du confort de visite, refonte du parcours et modernisation muséographique vont transformer en profondeur la physionomie du Musée Carnavalet. Le nouveau circuit réservera d’importantes nouveautés, dont un parcours innovant adapté aux enfants, une meilleure représentation de l’histoire contemporaine et la création d’un espace immersif évoquant la crypte archéologique du parvis Notre-Dame et les Catacombes, deux sites rattachés au musée et inaccessibles aux personnes à mobilité réduite. Alors que l’étude de programmation vient tout juste de débuter, le musée entame un autre chantier urgent : la restauration de la cour Louis XIV. Une campagne de réhabilitation et de valorisation du monument historique et de ses sculptures qui devrait s’achever au printemps 2015. Tandis qu’en coulisses se poursuivent d’indispensables travaux de mise en conformité de la sécurité incendie et du système anti-intrusion ; contraignant le musée à fermer successivement plusieurs salles.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°667 du 1 avril 2014, avec le titre suivant : Entrez dans le secret des réserves parisiennes

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